Peut-on prêter ce qu’on n’a pas?

 »On ne peut prêter que ce qu’on a ». Cette phrase est un argument qui s’appuie sur le sens commun du mot « prêter ». Il y a deux manières d’analyser un « prêt d’argent », ou un « prêt bancaire ». Soit c’est un échange, soit c’est un prêt. Dans les deux cas, le prêteur possède la reconnaissance de dette. Pour le prêteur, la valeur de cette reconnaissance de dette est supérieure à la somme prêtée. Sinon, le prêteur n’aurait pas prêté. En effet, cette reconnaissance de dette est un actif qui produit désormais une rente. Cette reconnaissance de dette est un actif qui a de la valeur. Elle peut se vendre ou s’acheter.

Si l’emprunteur ne possédait pas la monnaie versée, c’est que le prêteur la posséderait encore. Mais alors, lorsque l’emprunteur verse la totalité de la somme pour son achat ou pour son investissement, cette monnaie a disparu. Et pourtant le prêteur n’en est pas moins riche. Le prêteur ne possédait donc pas la monnaie de l’emprunteur, puisqu’elle n’existe plus. Il ne reste que l’obligation de l’emprunteur stipulée dans la reconnaissance de dette.

Il en va différemment avec le prêt d’un livre. C’est le prêt au sens commun du terme « prêter ». A chaque instant, ce livre continue à appartenir au prêteur. A aucun moment, l’emprunteur ne revend ce livre, ni n’en achète un autre en remplacement. L’emprunteur rendra le même livre que celui qu’on lui a prêté.

Mais il y a un autre argument qui montre que le prêt d’argent n’est pas un prêt. Si le prêteur possédait encore la monnaie versée, il posséderait à la fois le reconnaissance de dette et, en plus, l’argent que l’emprunteur va lui rembourser. Il posséderait alors le double de la valeur prêtée. Ce qui est incohérent. Il faut bien admettre que l’emprunteur possède entièrement la somme versée. Son obligation provient de la reconnaissance de dette, et non pas de la propriété des pièces ou des billets remis par le prêteur.

Il s’ensuit que le « prêt bancaire » n’est pas un prêt. Affirmer que « on ne peut pas prêter ce qu’on a pas » sous-entend que « je ne peux pas prêter un livre si je ne le possède pas ». C’est sur le sens commun du verbe « prêter » que se fonde l’argument « on ne peut prêter que ce qu’on a ». Or, nous venons de voir qu’un « prêt bancaire » n’est pas un prêt au sens commun du terme. Cet argument utilisant le sens commun du verbe prêter ne convient donc pas. Il faut donc écarter cette phrase utilisée comme un argument.

Un prêteur de pièces d’or ne « prête » pas au sens commun du verbe « prêter ». Les pièces ne sont plus à lui dès qu’il les verse à l’emprunteur. Et surtout lorsque l’emprunteur les a dépensées, elles ne sont plus ni au prêteur, ni à l’emprunteur. Le prêteur ne possède rien d’autre qu’une reconnaissance de dette, une promesse de l’emprunteur de lui remettre d’autres pièces d’or.

Dans le prêt d’un livre à un ami, ce livre reste toujours la propriété du prêteur. C’est le sens commun du mot prêter. On voit bien toute la différence entre les deux sens du verbe « prêter ».

Un autre débat est la nature juridique d’un titre de propriété sur une pièce d’or.

L’Ecole Autrichienne d’Economie ne fait pas cette erreur de raisonnement sur le verbe « prêter ». En lisant la théorie de la monnaie de Mises, on pourrait mal comprendre le discours de Mises lorsqu’il parle de « substitut » à l’or. Par ce mot « substitut », Mises parle de promesse d’or et il le précisera plus tard afin de dissiper toute ambiguïté. Pour Mises, ce mot « substitut » ne signifie pas ni un titre de propriété, ni une équivalence nécessaire entre un gramme d’or et une unité de monnaie, telle un billet de banque.

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une introduction au freebanking

une définition du freebanking
Le freebanking est une activité bancaire s’exerçant en marché libre sur une « zone économique ». Cette « zone économique » peut être une région, ou un pays. Mais une telle « zone économique » peut aussi être un ensemble de personnes sur Internet, ayant ou pouvant avoir, entre eux, des échanges commerciaux, ou non commerciaux. Le freebanking est une intervention, nulle ou faible, de l’État dans la création et l’usage de la monnaie.

le mot « freebanking »
Le freebanking s’écrit aussi « free banking » en deux mots. La traduction française est « banque libre ». En français, on parle aussi de « monnaie privée » pour signifier la monnaie produite par des banques en freebanking. Mais ce terme « monnaie privée » est ambigu, car il est aussi employé dans d’autres usages que le freebanking. Le terme « banque privée » ne traduit pas « freebanking ». En effet, en français, une banque privée est une banque ordinaire, mais qui s’occupe principalement de gestion de fortune.

Histoire du freebanking
Il y eut de nombreuses périodes de freebanking dans les pays riches. Le total des périodes de freebanking est de 600 ans. La période la plus longue fut une période de 130 ans en Écosse, de 1715 à 1845. Il y eu aussi du freebanking en France entre 1800 et 1804. Aucune de ces périodes de 600 ans de freebanking ne fut un freebanking pur et parfait. Il arrivait que l’État intervienne dans une loi, dans une autorisation, dans une restriction géographique. Des universitaires, économistes ou historiens, débattent de l’ampleur de ces interventions de l’État.

billet de banque, promesse de la banque
En freebanking, un billet de banque est la promesse d’une banque de livrer quelque chose. Pour une monnaie liée à l’or, ce quelque chose à livrer pourra être un gramme d’or. Il s’agit ici d’une « promesse valant contrat ». Il s’agit d’une « promesse commerciale ». Au lieu de parler de « billet de banque », on peut parler d’ « unité de monnaie », ou « unité monétaire ». Ce terme est plus général. Un compte bancaire d’un client de la BNP s’exprime en unités de monnaie.

promesse commerciale
Une promesse commerciale est identique à un « contrat unilatéral ». Le terme « contrat unilatéral » est le terme juridique exact, mais il est peu connu des non-juristes. Un contrat est toujours entre deux personnes. Un contrat unilatéral aussi. Une promesse commerciale, un contrat unilatéral, indique(stipule) toujours un promettant et un bénéficiaire. Le promettant a une obligation envers le bénéficiaire, mais le bénéficiaire n’a aucune obligation envers le promettant.

un peu de Droit du contrat
Un contrat unilatéral peut autoriser que le bénéficiaire ait le droit de substituer un nouveau bénéficiaire sans l’autorisation du promettant. En effet, l’obligation du promettant reste la même quelque soit l’identité du bénéficiaire. De plus, le contrat unilatéral peut aussi stipuler(indiquer) que le nouveau bénéficiaire n’a pas l’obligation de se faire connaitre du promettant. En freebanking, un billet de banque est une obligation contractuelle de la banque envers le porteur du billet. Quelque soit ce porteur de billet, l’obligation de la banque est la même. Il importe bien comprendre la différence entre contrat unilatéral et contrat bilatéral(synallagmatique). Pour transmettre un contrat bilatéral, l’intervention et l’accord des deux co-contractants est nécessaire. Une clause d’un contrat unilatéral peut permettre que le bénéficiaire transmette son droit librement. Le Droit du contrat existe indépendamment de tout État. Il est universel et de tous temps dans les pays civilisés.

certificat de dépôt
Prenons l’exemple d’une banque prêtant de l’or. L’or de la banque provient soit des investisseurs, soit des déposants. Le déposant remet son or au banquier et lui demande de restituer, non pas l’or déposé, mais de l’or en égale quantité. Le certificat de dépôt que lui remet la banque n’est donc pas un titre de propriété sur de l’or, puisque la banque lui rendre un or différent de l’or déposé. Le déposant autorise la banque à prêter son or. Le certificat de dépôt est une promesse de livraison d’or et non pas un titre de propriété qui serait directement sur de l’or. Le certificat de dépôt est ainsi une promesse commerciale, un contrat unilatéral. La banque est le promettant et le déposant est le bénéficiaire.

certificat de dépôt: promesse d’or ou titre de propriété sur de l’or?
Cette question a déjà été traitée brièvement au paragraphe précédent. Mais il faut enfoncer le clou. Certains confondent malheureusement « promesse d’or » et « titre de propriété sur de l’or ». Pire, ils s’autorisent à confondre les deux cas sous le prétexte qu’il n’y aurait aucune conséquence pratique. Ils commettent alors une deuxième erreur. Les conséquences pratiques existe et sont importantes. Leur confusion consiste en une erreur en Droit du contrat et une autre erreur dans la définition d’un droit de propriété sur une chose. Cette double erreur les entraîne dans des raisonnements fautifs en théorie monétaire. Un sac de dix pièces d’or est différent d’un autre sac de dix pièces d’or. En effet, un sac pourrait contenir une pièce usée ou fausse. Un sac pourrait être volé et pas l’autre. Il est absurde de confondre le droit de propriété qui s’attache à l’un et à l’autre. Donc ignorer la différence entre la propriété d’un sac d’or et la propriété de l’autre sac d’or est une faute en Droit. Le certificat de dépôt est donc une promesse de la banque, c’est un droit de propriété sur une promesse.

un prêt bancaire n’est pas un prêt
Je prête un livre à un ami. Puis il me le rend. C’est un prêt. L’emprunteur rend le même objet au prêteur. Dans un prêt bancaire, la banque reçoit une reconnaissance de dette de l’emprunteur. La banque devient propriétaire de cette reconnaissance de dette. Et l’emprunteur reçoit les billets de banque(ou les unités de monnaie). Pour faciliter le discours, restons dans l’exemple de la monnaie-or. Chaque unité de monnaie est une promesse de la banque. L’emprunteur devient seul propriétaire des billets de banque. Il les dépensera et rendra d’autres billets. Les billets de banque versés par la banque ne lui seront jamais restitués. Dans un prêt bancaire, ni la banque ni l’emprunteur ne possède un bien qui appartiendrait à l’autre. Le prêt bancaire n’est donc pas un prêt.

contrat d’émission monétaire
chaque billet de banque est, en lui-même, une promesse de la banque, c’est à dire un contrat unilatéral. La banque choisit chaque clause du contrat d’émission monétaire. L’or promis peut provenir des achats de la banque, ou de l’or apporté par les investisseurs de la banque, ou bien de l’or déposé par des déposants. Dans tous les cas, le billet émis par la banque correspond au même contrat passé entre la banque et le bénéficiaire, porteur du billet.

diverses sortes de monnaie
En freebanking, chacun peut créer sa banque, tenter de convaincre des utilisateurs de l’utilité de choisir sa monnaie plutôt que la monnaie du concurrent. La banque a une entière liberté de choix du contrat d’émission monétaire. C’est le marché qui décidera, c’est le client qui décidera. Chaque sorte de monnaie est définie par le contrat d’émission monétaire et par la banque qui l’émet. Deux monnaies émises par deux banques différentes, sont deux monnaies différentes.

activités bancaires en freebanking
Ce sera le thème d’un prochain article.

Rothbard et le prêt bancaire

Rothbard: Illustrons notre propos : Durand et Dupont concluent un contrat par lequel le premier cède aujourd’hui 100 000 francs au second en échange d’une reconnaissance de dette par lequel l’autre accepte de lui rendre 110 000 francs dans un an. C’est un contrat de prêt typique. Ce qui s’est produit,
c’est que Durand a transféré à Dupont son titre de propriété actuel sur les 100 000 francs en échange de quoi Dupont a consenti aujourd’hui à lui transférer un titre sur 110 000 francs dans un an. Imaginons maintenant qu’à la date convenue pour le remboursement, Dupont refuse de payer.

Pourquoi le Droit libertarien forcerait-il d’exécuter cette obligation ? La loi actuelle (que nous traiterons en détail plus bas) fonde essentiellement l’obligation faite à Dupont de payer les 110 000 francs sur la “promesse” qu’il a faite et qui a créé chez Durand l’“attente” de recevoir cette somme. La thèse que nous défendons ici est qu’une simple promesse n’est pas un transfert de propriété et que si la morale exige sans doute de tenir ses promesses, il n’entre pas et ne peut entrer dans les attributions du droit (c’est-à-dire la violence légale) libertarien d’imposer la morale (tenir ses promesses en l’occurrence). Notre thèse est que Dupont doit verser les 110 000 francs parce qu’il a déjà consenti à en transférer son titre de propriété à Durand et que son défaut de payer en fait un voleur de ce qui appartient à Durand.

Gidmoz: La thèse de Rothbard est de considérer que seul le vol du bien d’autrui est punissable par un tribunal libertarien. Et ne pas exécuter une promesse n’est un vol uniquement dans le cas où il s’agit de restituer le bien d’autrui à son légitime propriétaire. Dans les autres cas, le non-respect d’une promesse ne serait pas punissable par un tribunal libertarien. Dans l’exemple que vous citez ci-dessus, Rothbard commet une erreur d’analyse des droits en présence.

Gidmoz: Rothbard dit « Dupont doit verser les 110 000 francs parce qu’il a déjà consenti à en transférer son titre de propriété à Durand ». Dupont, l’emprunteur, a tout dépensé. Il ne dispose pas encore de cette somme. Il ne pourra donc jamais restituer ce qui appartient à Durand, le prêteur. L’emprunteur promet de remettre une somme d’égale valeur, mais différente. Il ne s’agit donc pas de restituer au prêteur ce qui lui appartient, mais de lui verser une chose d’égale valeur. Le principe libertarien du droit du contrat ne peut pas être ici appliqué.

Cette conception de la promesse est contraire au droit du contrat, tel qu’il se pratique dans les pays civilisés. La tentative de Rothbard pour fonder autrement le droit du contrat de prêt bancaire est un échec.

Un prêt bancaire n’est pas un prêt

Un prêt bancaire n’est pas un prêt. C’est une curiosité du vocabulaire. Mais c’est surtout important de le savoir lorsqu’on étudie le mécanisme des prêts bancaires. Cela peut légitimement troubler un lecteur. Ce lecteur pourrait en conclure, hâtivement, qu’un prêt bancaire serait frauduleux pour la seule raison que ce n’est pas un prêt. Non, une bizarrerie du vocabulaire ne suffit pas à affirmer l’existence d’une fraude. Cela crée une source de confusion habituelle de certains lecteurs. Je l’explique ci-dessous au travers d’un dialogue:

Gidmoz: Il faut bien comprendre que le prêt bancaire n’est pas un prêt. Si je prête un livre à un ami, il me rend le même livre. C’est le prêt, au sens commun du terme. Rien de tel dans un prêt bancaire. Le prêteur(banque) devient propriétaire d’un IOU(reconnaissance de dette) sur l’emprunteur. Et l’emprunteur devient propriétaire de promesses de la banque(unités monétaires). Après le « prêt bancaire », l’emprunteur ne possède donc rien qui appartient à la banque. Le prêt bancaire n’est donc pas un prêt au sens commun du terme.

Stéphane: <> Il faut bien comprendre que c’est exactement la où est le problème.

Gidmoz: Dans un prêt bancaire, l’emprunteur ne peut pas rendre les mêmes certificats de dépôt que ceux que le banquier lui avait « prêtés »(remis). Le prêt bancaire n’est donc pas un prêt, n’est pas un contrat de prêt d’une chose. C’est un contrat rédigé autrement qu’un contrat de prêt.

Stéphane: Tetracapilosection sans intérêt, si je puis dire.

Gidmoz: Le diable est dans les détails, dit-on. Or, ici, ce n’est pas un détail, c’est énorme! L’emprunteur possède entièrement l’argent versé par la banque. C’est la possession pleine et entière de l’emprunteur. Il ne peut pas en être autrement puisqu’il ne rendra jamais les mêmes certificats de dépôts. Donc la logique juridique du contrat de « prêt bancaire » est différente de celle d’un contrat de prêt d’un livre emprunté et qu’on rendra.

Stéphane: Non. La propriété en matière de monnaie est toujours sur la quantité, pas sur les atomes. Sinon elle ne pourrait pas circuler. C’est bien sur ce point que vous vous plantez depuis le début. Pour n’importe qui, 1g d’or, c’est 1g d’or. Ce n’est pas ce gramme d’or. Sinon ce n’est pas une monnaie.

Gidmoz: Un droit de propriété porte sur telle chose bien définie. Tentez de définir un droit de propriété sur 10 pièces d’or, quelles que soient ces dix pièces d’or. Une telle définition d’un tel droit hypothétique est évidement impossible.

Gidmoz: Ou plutôt tentez de définir un droit de propriété portant sur 10 grammes d’or, sachant que d’autres grammes d’or quelconques peuvent se substituer aux grammes d’or initiaux. Bonjour la complexité du contrat. Parce que vous visez un gramme qui appartient alors à une autre personne et que vous ignorez.

Stéphane: Quand on exprime un contrat en euros, c’est complique ? Non, pourtant, ce ne sont jamais les mêmes billets. Foutaises.

Stéphane: La clé est ici : la monnaie a cette caractéristique, elle se reconnait au fait que sa propriété s’exprime en unités et non en articles. A partir de la, l’argument qui est le votre de la reconnaissance de la propriété une fois en banque tombe et n’a pas de réalité.

Gidmoz: Vous dites  » la monnaie a cette caractéristique, elle se reconnait au fait que sa propriété s’exprime en unités et non en articles ». On ne définit pas le concept de propriété à partir du concept de monnaie. C’est l’inverse. Votre argument revient à dire,(je schématise): la monnaie est comme cela, donc la nature de la propriété de la monnaie est différente des autres propriétés, car sinon, il n’y aurait plus de monnaie. Ce raisonnement ne tient pas.

Gidmoz: Vous dites « Quand on exprime un contrat en euros, c’est complique ? Non, pourtant, ce ne sont jamais les mêmes billets ». Ce n’est pas un bon argument. Nous parlons de la nature de la monnaie. Or, un contrat de dette en euros, ne s’intéresse pas à la nature de l’euro, mais à sa quantité.

Gidmoz: Le gidmoz-or est un papier disant « contre ce papier, gidmoz donne un gramme d’or ». Chaque papier est numéroté. C’est comme un billet de banque. Chaque gramme d’or est dans un sachet numéroté. La numérotation des billets est différente de la numérotation des sachets. gidmoz remet un sachet d’un gramme d’or en échange d’un gidmoz-or. Tentez de définir un droit de propriété sur 10 gidmoz-or avec votre hypothèse. Votre hypothèse revient à considérer que le droit de propriété de dix gidmoz-or serait IDENTIQUE au droit de propriété de dix autres gidmoz-or. Votre hypothèse me semble incompatible avec l’exercice que je vous propose.