L’école autrichienne et son importance pour la science économique moderne, par Hans-Herma
lundi 1 juillet 2013 Laisser un commentaire
http://docs.google.com/View?id=dc2m8p62_569g7bmp2dv
http://docs.google.com/Doc?docid=0AevnAZEI5La7ZGMybThwNjJfNTY5ZzdibXAyZHY&hl=fr
L’école autrichienne et son importance
pour la science économique moderne*.
par Hans-Hermann Hoppe°
L’histoire ostensible** de l’Ecole autrichienne est rapide à raconter. Celle-ci commence avec
Carl Menger (1840-1924) et ses Principes de l’économie politique. [Grundsätze der
Volkswirtschaftslehre] parus en 1871. Cet ouvrage faisait de Menger — en même temps que
William Stanley Jevons et Léon Walras mais indépendamment d’eux — le fondateur de la théorie
moderne, « subjectiviste », de la valeur. C’est Menger qui, comme disait Joseph Schumpeter, est
le démolisseur de David Ricardo et du système ricardien[1]. Alors que l’économie politique britannique
classique — d’Adam Smith à John Stuart Mill en passant par Ricardo et Karl Marx — avait
toujours vainement cherché à expliquer la valeur des biens et leurs prix par des grandeurs
« objectives » telles que l’effort de travail et/ou les coûts de production, Menger opéra une révolution
copernicienne en démontrant que — bien au contraire — ce sont l’effort de travail et les coûts
de production qui sont déterminés par les valeurs et les prix anticipés, et qu’un principe unique
— celui de la valeur subjective à la marge [la valeur perçue des objets de l’action à l’occasion
de celle-ci] — peut expliquer l’ensemble des phénomènes économiques : la rareté, la production,
l’échange, la monnaie et l’intérêt[2].
L’école autrichienne atteignit son deuxième sommet avec Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914),
disciple le plus important de Menger, et son Kapital und Kapitalzins [Capital et intérêt] paru
en 1884. Böhm-Bawerk compléta l’oeuvre de Menger dans les domaines de la théorie de l’intérêt et
du capital, pour l’étendre jusqu’à une théorie systématique de l’économie capitaliste.
Puis lui succéda son plus brillant disciple, Ludwig von Mises (1881-1973). La position
prépondérante de Mises au sein de l’école autrichienne repose sur quatre oeuvres maîtresses :
la Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel de 1912 [Théorie de la monnaie et du crédit*],
Die Gemeinwirtschaft, Untersuchungen über den Sozialismus de 1922 [Le Socialisme
(1952)**], Human Action, A Treatise on Economics publié en 1949 [L’Action Humaine (1985)]
et Theory and History. An Interpretation of Social and Economic Evolution paru en 1957***.
Avec ces travaux, Mises élargissait le système de Menger et Böhm-Bawerk à la théorie monétaire
et conjoncturelle pour en faire une théorie de toutes les formes pensables de la coopération sociale.
En outre, s’appuyant sur les Recherches sur la méthode des Sciences sociales et de l’économie
politique (1883) [Untersuchungen über die Methode der Sozialwissenschaften und der
politischen Ökonomie insbesondere****] de Menger, Mises était parvenu à élucider les
fondements philosophiques et épistémologiques de la théorie de la valeur « subjective » ainsi que
de l’économie politique, et à reformuler les énoncés de la théorie économique comme ceux
d’une « logique de l’action » a priori, axiomatique-déductive (la praxéologie) et, partant de là,
à proposer une représentation systématiquement complète du corpus des sciences sociales
théoriques qu’il était possible de reconstruire sur la base de la praxéologie.
Et enfin, le théâtre des opérations s’étant déplacé de Vienne, de l’Autriche et de l’Europe vers New
York et les Etats-Unis à la suite de l’émigration de Mises en 1940 aux Etats-Unis, apparut
le plus grand des disciples de Mises, Murray N. Rothbard (1926-1995, avec son Man, Economy,
and State en 1962, The Ethics of Liberty en 1982 [L’Ethique de la liberté (1991)], puis
Economic Thought Before Adam Smith et Classical Economics en 1995. Dans ces ouvrages,
Rothbard nettoyait les incohérences restant dans le système misésien, en matière de théorie du
monopole et de théorie de l’Etat (la production de la sécurité). Il associait l’économie autrichienne
(la praxéologie) et la théorie du droit naturel (l’éthique) dans une théorie générale (libertarienne)
de la liberté humaine. Il projetait et esquissait aussi le programme d’une historiographie
« révisionniste », éclairée par l’économie et la philosophie politiques.
Comme dans d’autres traditions intellectuelles, on trouve aussi dès le départ au sein de l’école
autrichienne nombre de courants parallèles qui s’interpénètrent. Il y a d’abord Friedrich von Wieser
puis ses élèves Hans Mayer et Friedrich von Hayek. Puis Joseph Schumpeter, élève de
Böhm-Bawerk. Pendant la période d’activité de Mises, on trouve ses élèves Fritz Machlup,
Gottfried von Haberler et Oskar Morgenstern. Enfin, à l’époque de Rothbard, l’école autrichienne
s’étant dans l’intervalle transplantée aux Etats-Unis pour s’y développer sous le nom d' »Austrian
Economics », on trouve à côté de Hayek son élève Ludwig Lachmann et celui de Mises*, Israel
Kirzner. Cette diversité de l’offre sous la marque des Austrian Economics, et en particulier le fait
qu’après l’attribution du prix Nobel d’économie à Hayek pour 1974, le nom de ce dernier l’emporta
en popularité sur celui des autres autrichiens y compris Mises, à tel point qu’il était devenu synonyme
d' »école autrichienne », a conduit à une série d’erreurs de jugement et d’interprétation au sujet de cette
dernière, non seulement dans l’opinion publique au sens large mais aussi, particulièrement, dans
les sciences économiques et sociales[3].
II
Pour juger correctement l’école autrichienne — quelle que soit la manière dont on apprécie
la contribution particulière des représentants de cette école — il est indispensable de comprendre les
raisons historiques et intellectuelles* qui fondent la différence entre une lignée fondamentale — la
lignée Menger-Böhm-Bawerk-Mises-Rothbard— et les diverses branches annexes — Wieser,
Schumpeter, Hayek, Kirzner et Lachmann. La raison ostensible tient à ce que
cette différenciation-là correspond aux interprétations mêmes des personnes en cause.
Böhm-Bawerk se considérait comme le successeur de Menger et Mises comme celui
de Böhm-Bawerk et de Menger. Quant à Rothbard, il se voyait comme le continuateur de Mises et
comme son élève.
Plus encore, cette estimation personnelle de chacun des successeurs correspondait exactement
avec l’appréciation correspondante faite par les prédécesseurs directs. Malgré une distanciation
critique marquée, Menger reconnaissait Böhm-Bawerk comme le plus important de ses disciples.
La même chose est valable pour Böhm-Bawerk vis-à-vis de Mises, et de même pour Mises
en relation avec Rothbard. En revanche, malgré leurs rapports de maître à élève, et une appréciation
réciproque non dissimulée, Böhm-Bawerk ne considérait nullement Schumpeter comme son
successeur, pas plus que Schumpeter ne se voyait comme tel. Et de même, Mises ne reconnaissait
pas Hayek comme son héritier intellectuel, Hayek ne se voyant pas non plus dans ce rôle-là. Ils se
considéraient plutôt (réciproquement) comme des « déviants ».
En outre il existe plus essentiellement une raison interne — une raison logique — pour cette
différenciation entre une lignée centrale et diverses branches annexes. Le courant qui va de Menger
à Rothbard en passant par Böhm-Bawerk et Mises se reconnaît à un mode de raisonnement
unitaire qui le distingue fondamentalement de tous les autres courants de la tradition. De Menger
à Rothbard, on se considère expressément comme rationaliste, et on refuse catégoriquement
de manipuler aucune de ces cartes à jouer du relativisme que sont l’historicisme, le positivisme,
le « falsificationnisme » ou le scepticisme dans les sciences sociales[4]. On n’y est pas seulement
persuadé qu’il existe des lois économiques mais en outre, tout particulièrement, qu’il s’agit là de lois
« exactes » (Menger) ou « a priori » (Mises)* : à l’inverse des propositions générales des sciences de la
nature, qui doivent encore et toujours être vérifiées par les données de l’expérience et qui, à partir
de là, ne peuvent jamais invoquer d’autre validité (justification) que « purement hypothétique »,
en matière de lois économiques c’est à des relations nécessaires, donc dépourvues de tout caractère
hypothétique, et à une validité « apodictique » des énoncés que l’on a affaire. Tous les théorèmes
fondamentaux de l’économie peuvent se déduire logiquement de quelques faits d’expérience simples
et incontestables (Menger) voire d’un unique axiome, qu’il est impossible de nier
sans contradiction ; et toutes les autres propositions peuvent à leur tour se déduire logiquement,
en partant de ces fondements-là, ainsi que d’un certain nombre de suppositions empiriques
(et empiriquement vérifiables). En conséquence, et de Menger à Rothbard on en est persuadé, il
n’est absolument pas nécessaire de « tester » la validité des énoncés de la théorie économique au
moyen des données de l’expérience ; et d’ailleurs, ce n’est même pas possible logiquement. Tout au
plus l’expérience peut-elle illustrer la validité des théorèmes économiques, mais elle ne peut jamais
en contredire (« réfuter ») aucun, car en dernière analyse la validité d’un théorème repose
exclusivement sur la force probante (et sur l’emploi correct) des règles de la déduction logique.
En outre, en tant que rationaliste, il faut admettre qu’on est là au point de départ d’un véritable
système d’individualisme épistémologique et méthodologique. Comme il n’y a que les individus qui
agissent, il est nécessaire que tous les phénomènes « sociaux » puissent être expliqués (reconstruits)
comme le résultat d’actions humaines intentionnelles. Dès lors, toute explication « holiste » ou
« organiciste » des phénomènes sociaux doit être catégoriquement rejetée, comme
une pseudo-explication non scientifique. De même doit-on rejeter comme non scientifique — et
là-dessus aussi tout le monde est d’accord de Menger à Rothbard, toute explication mécaniste
des phénomènes sociaux. L’action humaine est une action dans l’incertain. La représentation d’une
mécanique de l’équilibre ne peut servir que dans la mesure où elle contribue à faire comprendre ce
que l’action, justement, n’est pas, et à quel point elle se distingue catégoriquement des opérations
d’un automate.
III
Le rationalisme de la tradition qui s’étend de Menger à Rothbard en passant par Böhm-Bawerk et
Mises a eu deux effets.
Le premier est justement la rigueur logique et méthodologique de ce rationalisme, grâce à laquelle
la tradition intellectuelle de l’école autrichienne ne s’est jamais rompue, malgré toutes les
disqualifications idéologiques [qu’elle a subies] au cours des cent dernières années. Alors que,
pendant tout ce temps, les représentants des diverses branches secondaires exerçaient une plus
grande influence que leurs cousins rationalistes, aucun d’entre eux n’est parvenu à fonder une école
de pensée durable. Tous les écarts par rapport au programme [de recherche] rationaliste sont
davantage apparus comme des phénomènes de mode purement passagers[5]. Au sein de l’école
autrichienne, seule la tradition rationaliste est jusqu’à présent parvenue à attirer constamment
de nouvelles générations d’économistes.
Cependant, le second effet a aussi été que ce rationalisme sans compromis a été responsable du fait
que l’influence de l’école autrichienne sur le cours des événements historiques en général et
le développement des sciences économiques et sociales en particulier a longtemps connu un déclin
persistant, pour ne connaître un puissant renouveau que depuis le milieu des années 70.
En ce qui concerne le cours des événements extérieurs, ce fut le sort de l’école autrichienne, qu’au
cours du vingtième siècle, les indications de politique pratique déduites de ses recherches théoriques
allaient complètement à l’encontre de l’esprit du temps.
Le vingtième siècle a été — et demeure — l’ère du socialisme : du communisme, du fascisme, du
socialisme national et de ladémocratie sociale.
A l’inverse Menger, Böhm-Bawerk, Mises et Rothbard étaient non seulement des libéraux — ou
libertariens[6] déterminés, c’est-à-dire les partisans d’un ordre économique et social capitaliste. Bien
plus, la position libérale — antisocialiste — de l’école autrichienne a connu une radicalisation
toujours croissante, son opposition à la mentalité socialiste devenant de plus en plus véhémente et
irréconciliable à mesure que le temps passait. Alors que Menger et Böhm-Bawerk ne voulaient
reconnaître à l’Etat qu’un tout petit nombre de fonctions, il n’y avait plus pour Mises qu’une seule
fonction légitime de l’Etat : instaurer et faire respecter un système de droit privé fondé sur
la propriété personnelle et la liberté des contrats.
Quant à Rothbard, il a fait un pas supplémentaire, contestant totalement la justification économique
(et morale) de l’Etat et recommandant à la place le modèle social d’une anarchie ordonnée ou
anarchisme de propriété privée[7].
Seuls les événements des années 70 et 80 ont amené un changement. Après presque cent ans
de croissance quasi ininterrompue de l’Etat et de mépris croissant pour les enseignements de l’école
autrichienne, les premières failles impossibles à cacher sont ensuite apparues dans la structure
des appareils d’Etat démocrates-sociaux en Europe et en Amérique du Nord. Au début des années
70, aux Etats-Unis (comme dans la plupart des pays d’Europe occidentale) apparut pour
la première fois un phénomène de stagflation — une récession inflationniste au lieu d’être
déflationniste, comme habituellement dans le passé. Cela fit trembler sur ses bases
le keynésianisme, qui avait jusqu’alors — et depuis les années trente— déterminé presque sans
partage la politique économique des Etats-Unis et de l’Europe occidentale. On était, à en croire
Keynes, censé tenir la stagflation pour « impossible ». D’après son enseignement d’interventionnisme
inflationniste, l’inflation était justement le moyen de sortir d’une récession ! De sorte que
le keynésianisme s’est retrouvé en crise, crise dont il ne s’est jusqu’à présent pas encore remis[8].
Puis en 1974, un an après la mort de Mises, Hayek — le premier non-keynésien — reçut le prix
Nobel d’économie pour sa contribution au développement de la théorie conjoncturelle dite
de Mises-Hayek, et de la conjonction de ces deux événement naquit un premier regain d’intérêt
pour les Austrian Economics.
En outre, à partir du début des années 70, il devenait aussi de plus en plus clair que le niveau de vie
général n’augmentait plus comme auparavant, mais avait même commencé à baisser. Et ce, non
seulement en Europe occidentale, mais aussi aux Etats-Unis, dans le pays vainqueur des deux
guerres mondiales[9]. C’est seulement cela qui a conduit à redécouvrir la théorie misésienne
de l’interventionnisme.
L’élément central de cette théorie était la thèse de l’impossibilité d’une « troisième voie » (entre
le capitalisme et le socialisme). D’après Mises, tous les systèmes interventionnistes qui conservent
nominalement la propriété privée et l’entreprise mais où il revient à l’Etat d’intervenir pour « corriger »
les résultats du marché, doivent mener soit progressivement au socialisme réel, soit à un retour au
capitalisme. Car toute intervention sur le marché est contre-productive et crée davantage du
problème qu’elle était censée corriger. Une contribution étatique redistributive au profit de certains
revenus — ceux des pauvres ou des chômeurs par exemple — conduit inéluctablement
à une pauvreté et à un chômage accrus. De sorte qu’en second lieu il faudra soit diminuer les
paiements, soit les interrompre tout à fait. A moins qu’on n’accroisse les sommes versées, et
ainsi de suite, jusqu’à ce qu’à la fin on en vienne à une abolition complète de la propriété privée.
Il est en revanche impossible de s’en tenir au niveau d’intervention choisi au départ[10].
Et finalement, à la fin des années 80, s’est produit l’effondrement spectaculaire du socialisme réel
en Union soviétique et dans les pays de l’Europe de l’Est. Mises avait dès le début prédit cet
effondrement comme inévitable. Comme dans le socialisme l’ensemble des facteurs de production, y
compris la terre et le sol, sont possédés par le collectif et ne peuvent donc pas être achetés ni
vendus, ils n’ont pas de prix de marché pour indiquer leur rareté. Or, en l’absence de prix
de marché, tout calcul économique — toute comparaison des coûts et des prix de vente — est
impossible. Socialisme ne signifie pas « davantage » de planification, ni une planification « meilleure ».
Bien au contraire, affirme Mises, socialisme veut dire chaos : le défaut de toute planification,
de toute action rationnelle, calculée, et doit donc nécessairement conduire en permanence
à une mauvaise affectation des facteurs de production, à la consommation du capital et
à un effondrement irrésistible du niveau de vie de la société. Au vu des événements spectaculaires
en Europe de l’Est à la fin des années 80, et des dévastations économiques du « socialisme réel »
désormais constatables par tous et chacun, nombre de socialistes parmi les plus invétérés ne
pouvaient même plus s’empêcher d’avouer que Mises avait raison.
Un changement comparable a marqué l’influence de l’école autrichienne en ce qui concerne
particulièrement le développement des sciences économiques et sociales. Dans les pays de langue
germanique, et particulièrement dans le Reich allemand, l’influence de l’école autrichienne avait été
dès le départ extrêmement réduite. En Allemagne, de la fin du XIX° siècle jusqu’aux années 1920,
les sciences économiques et sociales étaient dominées par les représentants de ce qu’on a appelé
l' »école historique ». Gustav von Schmoller passait pour être le maître d’une « science économique
de l’Etat. » [Wirtschaftliche Staastwissenschaften] Son école, celle des « Socialistes de la chaire »
[Kathedersozialisten], régnait sur les universités allemandes[11]. Schmoller et ses adeptes, comme
ses successeurs dont par exemple Werner Sombart, tenaient pour établi qu’il n’existait pas de lois
universellement valides en économie. En économie la théorie, quand elle était le moins du monde
possible, était censée ne pouvoir se déduire que de l’expérience historique. L’histoire économique
était la grande mode, et le « savant » était celui qui publiait des compilations raboutées à partir
de liasses de documents*. L’économie politique classique abstraite et théorique, et tout
particulièrement le rationalisme absolu de l’école autrichienne, étaient tenus dans le plus grand
mépris. En-dehors de l’Allemagne, cependant, l’influence de l’école autrichienne croissait presque
sans interruption. La théorie « subjectiviste » de la valeur fondée par Menger devenait le fondement
de toute la théorie économique moderne. La théorie de l’intérêt de Böhm-Bawerk fut reconnue entre
autres par des économistes aussi importants que Knut Wicksell ou Frank A. Fetter et Irving Fisher,
les plus influents théoriciens américains de l’économie de la première moitié du XX° siècle et
fondateurs de ce qu’on appelle l’école monétariste. Les recherches de Mises sur les fondements
épistémo-méthodologiques de la théorie économique influençaient entre autres Lionel (qui devait
devenir Lord) Robbins et furent connus dans le monde de langue anglaise grâce à sa Nature et
signification de l’économique** publié en 1932 et qui fut extrêmement influente jusque dans les
années 1950. Quant à la théorie conjoncturelle de Mises, à partir de laquelle lui-même et Hayek. à
la différence d’une majorité écrasante de leurs collègues) avaient prédit la crise mondiale de la fin
des années 20[12], connut un succès franchement sensationnel, après que Hayek, à l’invitation de
Lionel Robbins, eut pour la première fois présenté la théorie en anglais en 1931[13].
Cependant, à partir du milieu des années 30, ce fut presque un demi-siècle de déclin pour
l’influence de l’école autrichienne. Si foudroyant qu’ait été le succès de la théorie conjoncturelle
de Mises et Hayek, c’est aussi rapidement qu’elle fut oubliée, après qu’en 1936 eut éclaté ce qu’on a
appelé la Révolution keynésienne. La Théorie générale de Keynes ne contenait rien qui puisse
ressembler à une amorce de réfutation de la théorie autrichienne. Cependant, alors que la théorie
de Mises et Hayek allait au rebours de l’esprit du temps — ce qui rend son premier succès d’autant
plus étonnant — la réussite de Keynes tenait au fait qu’il avait prêté sa force d’expression et sa
légitimité scientifique aux préjugés dominants de l’étatisme. La théorie autrichienne de la
conjoncture fut simplement supplantée, et on finit par l’oublier[14].
Cependant, un autre événement fut déterminant pour le long déclin de l’école autrichienne
commencé dans les années trente : l’émergence de la philosophie du positivisme. Les économistes
autrichiens avaient eu d’emblée une connaissance des plus intimes de la philosophie positiviste et du
« rationalisme critique » (le falsificationnisme) de Karl Popper qui en est très proche. La place forte
des positivistes n’était-elle pas ce qui devint plus tard célèbre sous le nom du « Cercle de Vienne »,
autour du philosophe Moritz Schlick ? Le frère cadet de Mises, le mathématicien et théoricien
des probabilités Richard von Mises, était un membre éminent du cercle de Schlick, et
le méthodologiste Felix Kaufmann participait régulièrement aussi bien au cercle de Schlick qu’à celui
de Mises, et amenait souvent chez ce dernier des schlickiens comme invités au Privatseminar
de Ludwig von Mises.[15]
Le cercle de Schlick était considérablement plus restreint que celui de Mises, et la philosophie
positiviste était d’abord — en Autriche et en Allemagne quasiment sans influence aucune. Cela ne
changea qu’après que la plupart des positivistes, à la suite de la prise de pouvoir par les Socialistes
Nationaux, eurent émigré dans les pays anglo-saxons, et qu’une partie d’entre eux y eut, en tant
qu’intellectuels européens, obtenu des postes universitaires éminents. A la suite de la Seconde
guerre mondiale — de l’apparition des Etats-Unis comme superpuissance militaire avec ses alliés, et
le déménagement du foyer de la recherche scientifique de l’Europe vers les USA, accéléré par
l’émigration des savants européens au cours des années 30 — ils finirent par réexporter vers
l’Europe l’influence qu’ils avaient acquise là-bas, et la vision positiviste du monde devint au cours
des décennies la philosophie dominante du monde occidental.
A la différence des historicistes, les positivistes et les falsificationnistes ne niaient pas entièrement
la possibilité des lois économiques. Mais ils affirmaient qu’on ne peut jamais formuler que deux
types de lois générales : il peut s’agit de définitions terminologiques arbitraires — des propositions
analytiques — et de leur avatars tautologiquement déduits : ces énoncés seraient vrais à titre
non hypothétique (a priori) mais, soi-disant, ils n’auraient aucune sorte de contenu factuel. Ou
alors, ce seraient des propositions empiriques, liées à la réalité, mais alors — prétendument —
elles n’auraient jamais qu’une validité hypothétique et devraient être vérifiées et retestées sans
cesse au vu de l’expérience. En revanche, ce que la tradition rationaliste centrale de l’école
autrichienne avait déterminé comme le characteristicum specificum de la science économique et
que, depuis des siècles, la plupart des économistes avaient aussi (au moins implicitement) reconnu
comme la marque distinctive essentielle des énoncés de l’économie politique : à savoir qu’il s’agit
d’une connaissance non hypothétique de la réalité ou, pour parler comme Kant, de jugements vrais
synthétiques a priori ; cela, c’est ce que positivistes et falsificationnistes décrétaient absolument
[Alors], sous l’influence du positivisme et du poppérisme, les sciences économiques devinrent soit
une sorte de jeu mathématique soit une version « économique » de la « recherche expérimentale » pour
laquelle — et en cela elle est étroitement liée à l’Historicisme — il n’existe aucune espèce
de différence systématique entre la théorie et l’histoire, l’histoire passant en outre pour un fondement
indispensable et un terrain d’essais pour toute théorie.
En tant que discipline analytique, l’économie a de plus en plus dégénéré en « économie
mathématique », en branche secondaire des Mathématiques (largement ignorée par les « vrais »
mathématiciens). Libérés de toute obligation de justifier d’un lien quelconque avec la réalité
de l' »activité économique » proprement dite, les « économistes » mathématiciens s’affairent depuis sur
des systèmes d’hypothèses arbitraires, à développer et à démontrer leurs implications
logico-mathématiques et leur cohérence interne. Ils analysent — dans les cas extrêmes sans recours
aucun à la langue naturelle, par des moyens exclusivement mathématiques — les propriétés d’objets
et de situations imaginés à discrétion — c’est dire qu’ils n’existent pas : l' »équilibre », l' »indifférence »,
l' »information parfaite ». Ils font des calculs : additionnent, soustraient, multiplient, divisent,
différencient, intègrent — des unités d’objets imaginés pour la convenance — l' »utilité », et font force
suppositions et opérations sur des relations arbitraires — non-existantes : fonctions et déterminations
simultanées — entre des objets et des propriétés non moins arbitrairement postulés.
Le résultat, comme l’établit un coup d’œil sur n’importe laquelle des revues internationales
spécialisées soi-disant en pointe, est un flot ininterrompu d’exercices symboliques littéralement
dépourvus de toute signification et de toute applicabilité — des jongleries mathématiques en lieu et
place d’une science sérieuse et authentique, sans même la plus petite ressemblance avec ce qui
jadis — jusqu’à il y a quelques décennies — passait pour être la science économique, et que
l’ensemble des « économistes classiques » entendaient d’ailleurs par là[17].
De l’autre côté — en tant que discipline « empirique » — la science économique dégénérait toujours
davantage en une « recherche quantitative », ou encore en « économétrie ».
Puisque, soi-disant, il ne pouvait y avoir de connaissance de la réalité qui ne soit hypothétique et
que toute connaissance empirique ne pouvait prétendument être qu’hypothétique, alors on pouvait
— on devait — procéder dans le domaine des sciences économiques et sociales exactement comme
dans celui des sciences naturelles expérimentales : par la méthode de l’essai et de la découverte
des erreurs.
On formule donc des hypothèses (des modèles) au choix sur les rapports entre certaines grandeurs
(variables) empiriques, puis on « observe » ou on « n’observe pas » les données qui devraient
y correspondre, pour finalement « tester » les hypothèses à l’aune de ces données-là. Que les
prédictions déductibles des hypothèses « correspondent » avec les données effectives, et
l’hypothèse est confirmée, jusqu’à nouvel ordre ; qu’elles n’y correspondent pas, et voilà que
l’hypothèse est réfutée et doit être soumise à révision.
Les conséquences de cette forme ([pseudo-]expérimentaliste) de la science économique, on peut
de même les constater d’un simple coup d’oeil dans les périodiques les plus en vue du monde
universitaire. Entre deux exercices de jonglerie mathématique, on n’y trouve guère autre chose que
de la « construction de modèles » et des « tests ».
Les résultats, cependant, sont suffisants pour dégriser n’importe qui. La capacité de prévoir
des modèles économétriques — comme l’opinion générale elle-même le reconnaît d’ailleurs de plus
en plus — est un sujet de rigolade proverbial. Tout profane un peu dégrossi, sans y avoir recours
le moins du monde, peut produire des pronostics aussi bons (ou aussi mauvais) voire bien meilleurs.
La recherche quantitative en économie n’a jusqu’à présent jamais produit une seule nouvelle idée
fondamentale
— cependant qu’au cours d’une multitude innombrable d' »études scientifiques » engagées à cette fin,
[cette même recherche quantitative] contribuait à ce que même les fondements les plus apparemment
inébranlables de l’économie politique soient remis en question par des aventures « expérimentales » ;
cependant que, dans le domaine des sciences économiques et sociales, il ne se trouvait guère
de proposition, si incroyable ou folle qu’elle ait semblé être, qui n’ait trouvé diverses études
« empiriques » pour, simultanément, aussi bien la « confirmer » que la « réfuter » par l’expérience[18].
Vu l’insignifiance patente de l’économie mathématique, le caractère de plus en plus visiblement
arbitraire des objets et des résultats de la recherche empirique et la perte d’intérêt, la dévalorisation
de la recherche scientifique en économie en tant que telle qui en sont résultées, l’économie, à partir
de la fin des années 70, s’est retrouvée dans une « crise scientifique » au sens de Thomas Kuhn[19],
crise qui s’aggrave toujours depuis lors.
En dépit de leur échec manifeste, les économistes quantitativistes et mathématiciens n’ont
naturellement pas abandonné leurs postes et règnent toujours aujourd’hui sur les universités en vue et
sur les publications scientifiques. Mais parmi les étudiants et les savants des générations montantes,
il est depuis apparu de plus en plus de contestataires, qui rejetaient l’ensemble du programme
de recherche (le paradigme) positiviste-falsificationniste comme stérile et même catégoriquement
vicié, et se tournaient vers un autre, ou se consacraient à la recherche d’une porte de sortie
analogue. De même a-t-on pu constater une reprise dans la création de nouvelles revues
spécialisées, qui ne se présentaient plus seulement comme des concurrentes directes des périodiques
établis avec leurs auteurs et/ou lecteurs et le même programme de recherche (mais en mieux et
en plus mathématiquement compliqué — ou au contraire plus mauvais et plus simple), mais
entendaient offrir à la place un produit entièrement autre, fabriqué par des auteurs différents et
adressé à des lecteurs différents (ou du moins convertis)[20].
La crise du programme de recherche positiviste s’aggrava au cours des années 80, après que les
prédictions mêmes des monétaristes, qui avaient entre-temps supplanté les keynésiens comme école
« dominante » de la science officielle, s’étaient elles aussi révélées d’une fausseté patente[21].
Dans cette situation de crise, on n’a pas seulement vu ressusciter les autres versions du relativisme
dans les sciences sociales, étouffées au cours des hautes eaux du positivisme : de l’économie
néo-institutionnaliste, rhétorique, interprétativiste, herméneutique, post-moderne ou
ultra-subjectiviste[22] ; on a surtout assisté à la redécouverte de la tradition de l’école autrichienne et
de la différence essentielle de son programme de recherche rationaliste.
Les plus grands représentants de l’école autrichienne, et en particulier Ludwig von Mises, avaient
dès le départ réprouvé comme fausse et contradictoire la méthodologie positiviste-falsificationniste
ainsi que son emploi dans le domaine des sciences économiques et sociales.
Pour commencer, disait Mises, il est contradictoire de prétendre qu’il ne saurait y avoir que
des propositions analytiques ou des propositions empiriques ; car cette affirmation même, si on veut
lui prêter la moindre force probante — c’est-à-dire si elle ne doit pas n’être à son tour qu’une
proposition analytique « arbitraire » ou alors une affirmation empirique « hypothétique » — doit
elle-même représenter justement ce que les positivistes prétendent être impossible : à savoir
une connaissance non hypothétique de la réalité.
Deuxièmement, indépendamment de ce que l’on peut penser du caractère applicable ou non de la
méthode positiviste dans le domaine des sciences de la nature, dans tous les cas il est contradictoire
de penser qu’elle puisse aussi trouver un emploi dans le domaine des sciences sociales ; car tout
savant qui teste des hypothèses doit au moins implicitement convenir qu’en principe il n’est pas
en position de prédire aujourd’hui les résultats à venir de sa propre activité future de recherche (en
fait, c’est justement parce qu’on est incapable de le faire que la recherche a le moindre sens), et
il s’ensuit que c’est par principe que lui-même, et son agir propre — c’est-à-dire
le domaine des objets qu’étudient les sciences sociales — ne peuvent pas du tout s’expliquer ni se
prédire comme les positivistes se l’imaginent*.
Depuis la fin des année 70, au vu de l’échec de plus en plus patent du programme de recherche
positiviste-falsificationniste, on ne s’est pas borné à redécouvrir ces arguments-là ; de plus en plus,
particulièrement chez les jeunes experts en sciences économiques et sociales on découvrait aussi que
l’école autrichienne qui était presque tombée dans l’oubli pendant les hautes eaux du positivisme
avait — dépassant largement la critique logique du positivisme et dans l’ignorance de la plupart
de l’opinion scientifique — élaboré un système d’économie descriptive presque complètement
développé et achevé, dont les propositions, par leur nature, tranchent fondamentalement
avec l’insignifiance et l’arbitraire des énoncés de la recherche économique positiviste.
— Premièrement, à la différence de ce que font les économistes mathématiciens, la tradition
centrale de l’école autrichienne de Menger à Rothbard avait toujours inébranlablement affirmé que
l’ensemble des concepts, opérations et relations de l’économie possèdent un contenu factuel et
pratique parfaitement clair et déterminé
— ce n’est qu’en tant que science de la réalité que l’économie peut justifier son existence ;
de sorte qu’en économie tous les concepts et relations conceptuelles doivent se rapporter
à des objets et à des événements réels — ou du moins qui peuvent exister.
Parmi les concepts qui peuvent prétendre à un contenu empirique et opérationnel dépourvu de
toute ambiguïté figurent entre autres l’action (la poursuite délibérée d’un objectif en faisant usage
de moyens qui sont rares), l’appropriation, la propriété et l’agression (la violation de la
propriété) ; la consommation, la production et les moyens de production ; l’échange direct,
les prix et la contrainte (l’échange forcé) ; l’échange indirect, les instruments d’échange (la
monnaie) et le calcul en monnaie ; l’intérêt, le crédit (l’échange inter-temporel) et
le capital ; le profit, la perte, l’accumulation et la consommation du capital ainsi que
la faillite.
En revanche, il faut exclure par principe de toute analyse économique tous les concepts et
hypothèses qui décrivent des objets ou des événements qui n’existent pas (irréalistes) voire qui ne
sauraient exister — à moins que ce ne soit à des fins didactiques : comme feuille de contraste
pour expliquer voire développer un concept réaliste évidemment différent. C’est valable
par exemple pour le concept d' »équilibre » — l’action est toujours l’expression d’une
préférence, du souhait d’une amélioration du bien-être ressenti et de ce fait, une personne qui
agit, aussi longtemps qu’elle agit seulement, n’est jamais en équilibre, et son action ne peut donc
jamais se décrire au moyen d’une équation[23].
Cela vaut pour le concept d' »indifférence », et pour toute l’analyse des « courbes d’indifférence »
qu’on a construite dessus — toute action est l’expression d’un choix délibéré, et implique que
l’on préfère un produit ou une satisfaction à un autre : une personne qui agit ne peut donc
jamais être indifférente à des quantités ou à des combinaisons de produits[24].
C’est [aussi] valable en ce qui concerne l’hypothèse de prévision parfaite — l’action est toujours
une action face à l’incertitude, avec une information imparfaite[25].
Et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’emploi de l’arithmétique et des mathématiques.
Il est évident qu’on ne peut se servir de l’arithmétique et des mathématiques que là où il existe
des unités que l’on peut compter et/ou des grandeurs que l’on peut mesurer.
Il est indubitable que de telles unités, de telles grandeurs, existent, et non moins évident qu’il
existe de ce fait, dans cette mesure, un large domaine d’application pour les mathématiques.
La réalité extérieure, où les personnes agissent, contient des unités que l’on peut compter,
des grandeurs que l’on peut mesurer, et les relations entre ces unités et des objets peuvent aussi
de ce fait se traiter mathématiquement.
Cependant, le résultat de cet emploi des mathématiques est du domaine de la technique.
Le savoir technique — savoir comment on peut estimer à l’avance certains résultats externes
(physiques) sur la base de certaines opérations de comptage, de mesure et de calcul a
indubitablement une grande importance, mais cela n’a rien à voir avec ce dont l’économie se
préoccupe : ce n’est pas d’expliquer comment certains « entrants » se transforment en certains
« extrants » que l’économie s’occupe (cela, c’est de la technique de production !) ; c’est, bien
au contraire, de la manière dont les personnes qui agissent font un choix entre une multiplicité
de techniques réalisables de production : comment elles se décident (choisissent) entre divers
types possibles de production et, pour un produit donné, entre différentes combinaisons
possibles de biens de production[26].
Cette procédure de décision, ce choix économique, porte sur des objets externes (objectifs) qu’il
est possible de compter et de mesurer. Mais ce ne sont pas ces objets externes-là qui
déterminent son issue : c’est une évaluation subjective [par un acte de la pensée] à leur sujet :
jugement de valeur porté, par une personne qui agit, sur l’utilité perçue à la marge (valeur)
des objets et relations externes susceptibles d’être comptés, mesurés et calculés.
Or, l’utilité du produit particulier ou de la combinaison donnée de biens de production
déterminée par le choix économique n’est elle-même pas un objet (une grandeur) comptable ni
mesurable. L’utilité est une grandeur intensive et non extensive.
On peut ranger les objets et les événements relativement à l’importance qu’on leur a attribuée
(comme plus ou moins utiles [dans ce contexte]), et la formation d’une hiérarchie par ordre
d’importance et tout ce dont on a besoin pour faire un choix économique ;
en revanche, on ne peut jamais mesurer l' »utilité » d’un objet. Il n’existe pas d' »unités »
d’importance, et en l’absence de telles unités il n’existe aucune espèce de possibilité de se servir
d’opérations mathématiques ni de « quantités », et encore moins de « fonctions » d’utilité. Au-delà
de ce classement des objets par ordre de rang, il n’existe aucune espèce de relation
mathématique (quantitative) entre l’utilité de différents objets, quantités d’objets et combinaisons
d’objets.
La conséquence n’est pas seulement qu’en économie il faut proscrire comme non scientifique
toute comparaison d’utilités entre les personnes : il ne faut pas moins rejeter toutes les opérations
mathématiques où l’expression d' »utilité » apparaît de façon illégitime*. Et en particulier, il faut
exclure tout emploi du concept d' »utilité totale » comme complètement anti-scientifique ; car l’idée
d’une « utilité totale” présuppose logiquement que l’on pourrait faire la somme — arithmétique ou
intégrale — des jugements d’utilité portés à la marge [à l’occasion des diverses actions] sur les
divers objets et quantités d’objets. Or, dans la réalité [des choix], il n’y a jamais d’utilité « totale »,
mais seulement l’utilité à la marge [c’est-à-dire à l’occasion de ces choix] de quantités d’objets
plus ou moins grandes ou petites. A cette marge-là, l’utilité d’une quantité plus grande d’un objet
donné est toujours nécessairement plus grande que celle d’une plus petite quantité du même bien
[par définition même de ce que c’est qu’un bien]. Et sur les objets en quantité ou d’une grosseur
donnée règne la loi bien connue de l’utilité marginale décroissante : l’utilité à la marge de l’unité
d’un objet d’une certaine taille diminue toujours lorsque la quantité du bien à la disposition d’une
personne augmente d’une unité supplémentaire, c’est-à-dire que l’utilité à la marge de la deuxième
unité de l’objet est toujours nécessairement moindre que celle de la première, etc.
Toutes ces relations sont ordinales par nature — et il n’existe aucune espèce de point de départ
pour un emploi quelconque de l’arithmétique ni des mathématiques en théorie économique[27].
Dans le cadre de l’économie analytique (mathématique), le processus de formation des concepts
et des postulats est supposé arbitraire, ce qui doit forcément conduire à des énoncés dépourvus
de sens ; la tradition rationaliste de l’école autrichienne s’est au contraire toujours souciée
de faire que tout concept et tout postulat possède un fondement empirico-opérationnel
parfaitement clair, et doive se rapporter à un objet réellement ou du moins potentiellement
existant. Ainsi, tout ce que l’Ecole autrichienne a pu avoir à dire a été directement applicable, et
intéressant pour la pratique.
— Deuxièmement, par opposition à la pratique des chercheurs quantitativo-empiristes
en économie, la tradition autrichienne avait toujours inébranlablement affirmé que
ce que décrivent les énoncés de l’économie politique consiste en des relations nécessaires et non
hypothétiques, et que la logique de la recherche et du progrès scientifiques dans le domaine
des sciences économiques diffère fondamentalement de la méthode positiviste des essais et de la
découverte des erreurs.
La loi de l’utilité marginale décroissante n’est pas une hypothèse, elle est logiquement déduite du
fait universel que toute action implique une préférence, associé à la supposition que
la disponibilité d’un bien particulier s’accroît d’une unité de taille comparable.
De même, ce n’est pas une hypothèse, mais une relation logiquement nécessaire, quand on dit que
tout échange volontaire entre deux propriétaires privés doit nécessairement être perçu ex ante
comme avantageux par l’un comme par l’autre, et que les deux parties à l’échange présentent
un ordre de préférences inverse en ce qui concerne les objets échangés.
Et il n’est pas davantage purement hypothétique qu’un accroissement de la quantité de monnaie
conduise à une perte relative de son pouvoir d’achat, à un changement sans la structure des prix
relatifs et à une redistribution des revenus.
Et il n’est pas non plus « hypothétique » que des loyers maximum fixés par la loi conduisent
à une pénurie dans le domaine du logement locatif, que des salaires minimum imposés par la loi
provoquent un chômage forcé, ou qu’il ne peut pas y avoir de calcul économique dans
une économie socialiste.
Tous ces énoncés décrivent également des relations logiquement, conceptuellement nécessaires.
A la place d’un choix arbitraire d’hypothèses de départ (ce que fait la recherche économique
empirico-quantitativiste) la tradition rationaliste des autrichiens apporte une validité et
une nécessité catégoriques (apodictiques).
Pour un positiviste, une telle prétention à la validité doit présenter tous les traits de l’hubris
intellectuelle. En fait, elle est bien au contraire dictée par une modestie intellectuelle affirmée.
Tout d’abord, invoquer la validité apodictique de ses énoncés n’implique en aucun cas
une prétention à être infaillible. La logique aussi, et la Mathématique, traitent de relation non
hypothétiques — et ni les logiciens ni les mathématiciens ne réclament pour eux-mêmes aucune
espèce d’infaillibilité. Ce qu’ils prétendent simplement, c’est que la preuve du caractère erroné
de leurs énoncés doit être apportée sur la base d’autres propositions non hypothétiques mais
logiques ou mathématiques, et non pas sur celle de « tests » empiriques quelconques.
Les autrichiens n’exigent rien de plus, ou rien d’autre, pour leurs propres énoncés.
Des arguments non hypothétiques — praxéologiques — ne peuvent s’attaquer qu’au moyen
d’autres arguments praxéologiques.
En outre, qu’ils invoquent une validité apodictique pour leurs énoncés n’implique en aucune
manière une prétention à l’universalité, du genre que toute connaissance factuelle dans
le domaine des sciences de l’action humaine serait de cette nature apodictique-là, bien au contraire
: alors que pour les positivistes, tous les phénomènes sociaux doivent êre traités par une seule et
même méthode, on a toujours insisté, de Menger à Rothbard, sur une séparation stricte entre
la théorie et les énoncés théoriques (la théorie économique) d’une part et l’histoire et autres
descriptions événementielles (y compris les prévisions des entrepreneurs) d’autre part. La
théorie économique ne peut expliquer qu’un petit domaine, étroitement limité, des phénomènes et
des aspects de la réalité sociale — mais elle est tenue de le faire apodictiquement. Un autre
domaine (plus étendu et plus important) des phénomènes et aspects de la société demeure
complètement fermé aux explications et aux prédictions de la théorie économique. Dans ce
domaine — celui de l’explication historique et de l’activité de prévision des entrepreneurs — il
n’existe aucune connaissance apodictique, mais jamais rien d’autre que des tentatives
de reconstruction ou de prédiction construites à partir d’une compréhension du passé[28].
Avant tout, la prétention au caractère apodictique de la part des économistes autrichiens n’implique
aucune arrogance intellectuelle, mais tout au contraire un respect déférent pour l’histoire de la
pensée économique.
En effet, si les lois économiques consistent effectivement en des énoncés catégoriquement (et non
« hypothétiquement ») vrais, alors on devrait s’attendre à ce que ces lois, en toute hypothèse,
traduisent des vérités « anciennes », découvertes depuis longtemps. Que l’on découvre
de « nouvelles » lois non hypothétiques, même si ce n’est pas exclu, doit être un événement
intellectuel plutôt rare, et plus celles-ci sont « nouvelles » et plus on doit les envisager avec
soupçon. On devrait s’attendre à ce que la plus grande partie de ce qu’il y a à découvrir
en manière de connaissance factuelle non hypothétique ait déjà été découvert et pris en compte et
n’ait qu’à être redécouvert et réappris.
Et cela veut dire que l’on doit s’attendre à ce que, dans le domaine de l’économie — comme
dans les autres disciplines qui s’occupent d’énoncés catégoriques (non hypothétiques) de fait et
de cause (comme par exemple la philosophie, la logique, la mathématique, l’éthique), le progrès
de la science soit forcément lent et malaisé. Le « danger » n’est pas que chaque génération
d’économistes manque à ajouter — en mieux ou en neuf — au stock de connaissances qu’elle
hérite, mais au contraire qu’elle n’apprenne plus — ou plus aussi complètement —
une connaissance déjà disponible ou retombe dans des erreurs anciennes — voire, plus
rarement, de nouvelles.
De ce côté-là, justement, les autrichiens archi-rationalistes (apodictiques), de Menger
à Rothbard, se sont toujours distingués par une attitude de stricte humilité intellectuelle, décantée
par un apprentissage approfondi de l’histoire des dogmes économiques. Pour l’essentiel, ils
ne prétendaient rien être d’autre que les gardiens d’un savoir ancien, traditionnel, et
leur revendication d’originalité scientifique, quand elle était seulement évoquée, était
des plus modeste.
Ce sont bien au contraire les chercheurs empiristes-quantitativistes en économie, pour qui
soi-disant il ne saurait y avoir qu’une connaissance hypothétique et non apodictique de la réalité,
qui se sont montrés arrogants et obtus.
De leur point de vue positiviste-falsificationniste, la recherche économique empirique est
un processus ininterrompu de progrès — se rapprochant toujours davantage de la vérité —
d’essais (les hypothèses), de constatation des erreurs (la « réfutation ») et de tentatives
renouvelées (avec des hypothèses modifiées). De sorte que toute connaissance « plus tardive »
(plus récente) apparaît forcément toujours comme une connaissance « meilleure » ; car à mesure
que passe le temps, après un délai plus long, il est toujours possible d’avoir éliminé davantage
d’erreurs.
Il est donc « scientifiquement légitime » que dans son travail, chaque génération montante
d’économistes ne se soucie jamais que du dernier (du plus récent) état de la recherche et
n’attribue à l’histoire de sa propre discipline que la valeur d’une antiquité bonne à mettre
au musée. Comme chez les physiciens, il y est également légitime pour un économiste qu’il
apprenne son métier exclusivement à partir de manuels contemporains et d’articles de revues qui
sont les plus récents et les plus novateurs à ce moment-là ; et, de même que les physiciens
s’occupent fort peu, ou pas du tout, de l’histoire et des classiques de la physique : quel est
le physicien qui, pour avancer dans ses études de physique, lit aujourd’hui Aristote, Galilée,
Newton ou même Einstein ?! ; de même devrait-on, en tant qu’économiste, ne pas s’occuper
(ou alors seulement à la marge) de l’histoire et des classiques de son propre métier (car on
suppose que toutes les vérités classiques, moins une série d’erreurs entre-temps éliminées, ont
été reproduites dans les manuels contemporains). L’histoire de l’économie politique a la même
importance relative dans la formation des économistes que l’histoire de la physique dans
la formation des physiciens — le superflu d’un élevage d’orchidées !
A suivre ce point de vue (positiviste), il serait admissible, normal, que les chercheurs
empirico-quantitativistes se rengorgent d’autant plus de leur propre originalité scientifique qu’ils
connaissent moins l’histoire de l’économie politique ainsi que ses classiques, et qu’ils puissent
alors (n’ayant jamais appris rien d’autre) inébranlablement s’accrocher au programme
de recherche positiviste-falsificationniste alors que le caractère inopérant de leur mode
de recherche est patent depuis belle lurette.
Ce n’est donc pas parce qu’elles seraient triviales, arbitraires et intellectuellement arrogantes que
les propositions du système rationaliste de l’économie et de la théorie sociale autrichiennes
(construit avec constance de Menger à Rothbard) se distinguent particulièrement. Elles le font
bien au contraire parce que, sans aucune exception, elles sont à la fois pertinentes, logiquement
contraignantes et modestes dans leurs ambitions. Elles au moins, en effet, se limitent à leur
domaine propre d’énonciation et de validité, et se fondent sur une connaissance authentique
de l’Histoire.
A partir du milieu des années 70, face au contexte d’une crise de l’État-providence toujours plus
évidente et de l’impasse concomitante du positivisme (et de la philosophie de l’ingénierie sociale au
coup par coup), une croissance constante du nombre d' »autrichiens » déclarés se produisit après
des décennies d’oubli, d’abord et avant tout aux Etats-Unis, mais aussi en Europe et en Amérique du
Sud.
Dans le monde académique, les autrichiens sont encore une tout petite minorité. Vu le jugement
que porte l’Ecole autrichienne sur le programme de recherches positiviste tout entier — de l’économie
mathématique à la recherche empirico-quantitative en économie (l’économétrie) — comme étant
l’erreur intellectuelle du siècle, c’est difficilement surprenant. En outre, étant donné le fait que les
autrichiens sont, comme résultat final de leur recherches économiques, devenus des défenseurs
apodictiques et catégoriques de l’idée « démodée » d’une économie monétaire et capitaliste fondée
sur la propriété privée et la liberté d’entreprendre — du libéralisme en somme — et dénient donc
fondamentalement toute justification à l’ensemble de l’État-providence moderne (démocrate-social)
en général et au système universitaire plus ou moins complètement étatisé en particulier, il fallait
carrément s’attendre à ce que la progression desdits autrichiens soit âprement combattue par
l’establishment des universités. En dépit de ces obstacles, la représentation des autrichiens dans
le monde universitaire des sciences économiques et sociales ne s’est pas moins accrue sans
discontinuer. Depuis, des autrichiens se sont mis à enseigner dans des dizaines d’universités
américaines, et il existe tout un ensemble de facultés à l’orientation autrichienne prononcée.
Au-delà du domaine universitaire, l’Ecole autrichienne a surtout réussi depuis à prendre pied,
de plus en plus, dans l’opinion profane cultivée, et par là exercer une influence toujours croissante
sur l’opinion publique américaine. Alors que pour les personnes employées en-dehors de l’activité
universitaire (qui sont dans la vie normale) les résultats de l’économie mathématique et de la
recherche empirico-quantitative sont dépourvus d’intérêt et n’ont aucun sens (personne n’est prêt
à payer volontairement pour les acheter), les économistes autrichiens ont eu à dire des choses que
les êtres humains « normaux » peuvent comprendre, et dont ils pouvaient apprécier le sens et
l’importance. Et ce que les autrichiens avaient à dire : simple, éprouvé et logiquement nécessaire,
frappait dans ce public-là une corde de plus en plus sensible au vu de la crise toujours plus évidente
de l’État-providence et du discrédit croissant qu’elle valait aux écoles interventionnistes
de l’establishment, keynésiens et monétaristes.
Résultat et traduction de cet état de fait, en 1982 fut fondé le Ludwig von Mises Institute, installé
dans l’enceinte de la Auburn University à Auburn, Alabama, et uniquement financé par des fonds
privés.
C’est particulièrement grâce à l’activité du Mises Institute — à ses conférences scientifiques,
séminaires d’enseignement, universités d’été, bourses, livres, revues et magazines, savants et
populaires — que l’idée autrichienne du rationalisme dans les sciences sociales et d’un ordre social
libéral reçoit désormais une audience plus claire et plus catégorique.
Aujourd’hui, à la fin du vingtième siècle, dans l’opinion publique américaine, la voix des Austrians
représente à nouveau une force intellectuelle qu’on ne peut plus manquer d’entendre ni refuser
de reconnaître. Et le programme desdits Austrians — la propriété privée et la division coopérative
du travail comme fondements du bien-être moral et matériel ; un ordre politique dont la fonction
exclusive est de garantir et de maintenir les droits de propriété privée ainsi que l’économie
de marché [libre] qui en résulte : qui n’intervient pour « corriger », ni dans la différenciation
personnelle des revenus et des patrimoines ni dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement,
et qui doit en même temps s’accommoder du droit de sécession inconditionnel des entités
politiques plus petites vis-à-vis des plus grosses ; le libre-échange et un étalon-or international— a
exercé une influence intellectuelle décisive sur la « contre-révolution populiste », d’opposition
fondamentale au « Welfare-warfare State » centralisé — à Washington, D. C.— qui a pris
aux Etats-Unis les proportions d’un mouvement de masse à partir du début des années 90.
Cependant, à la fin du vingtième siècle, malgré tous ses succès au cours des deux dernières
décennies, l’école autrichienne n’a pas encore réussi une véritable percée, et il est à craindre qu’un
effondrement économique du système (démocrate-social) d’État-providence occidental doive
d’abord se produire, avant que l’heure de l’économie autrichienne ne commence à sonner.
Bibliographie
• Advances in Austrian Economics
• Atlantic Economic Journal consacré à « Carl Menger and Austrian Economics », Vol. 6
Nr. 3, septembre 1978.
• Robert Batemarco, « GNP, PPR, and the Standard of Living », Review
of Austrian Economics, Vol. 1, 1987.
• Samuel Bostaph, « The Methodological Debate Between Carl Menger and
the German Historicists ». Atlantic Economic Journal consacré à « Carl Menger and Austrian
Economics », Vol. 6 Nr. 3, septembre 1978.
• Edwin Dolan, ed., The Foundations of Modern Austrian Economics. Kansas
City: Sheed and Ward, 1976.
• Milton Friedman, « The Resource Cost of Irredeemable Paper Money », Journal
of Political Economy (1986).
• David Gordon, « Lost in the Move? », The Mises Review, Fall 1995
• François Guillaumat, « Annexe » in Murray N. Rothbard et. al., Economistes et
charlatans. Paris, les Belles Lettres, 1991.
• Friedrich A. Hayek, Prices and Production (1931).
Friedrich A. Hayek, Prix et production. Agora, 1986 (1975).
Friedrich A. Hayek, « Einleitung« [introduction] aux Erinnerungen [Notes and
Recollections] de Ludwig von Mises. Stuttgart : G. Fischer, 1978.
• Jeffrey Herbener, ed., The Meaning of Ludwig von Mises. Boston, Kluwer, 1993.
Jeffrey Herbener, « Introduction », in : Jeffrey Herbener, ed., The Meaning of Ludwig
von Mises. Boston, Kluwer, 1993.
• Hans-Hermann Hoppe, Handeln und Erkennen. Berne, 1976.
Hans-Hermann Hoppe, Kritik der kausalwissenschaftlichen Sozialforschung.
Opladen, 1983.
Hans-Hermann Hoppe, Eigentum, Anarchie und Staat. Opladen, 1987.
Hans-Hermann Hoppe, « In Defense of Extreme Rationalism: Thoughts on
Donald McCloskey’s ‘The Rhetoric of Economics' », Review of Austrian Economics,
Vol. 3, 1989.
Hans-Hermann Hoppe, A Theory of Socialism and Capitalism. Dordrecht, 1990.
Hans-Hermann Hoppe, The Economics and Ethics of Private Property. Auburn,
1993.
Hans-Hermann Hoppe, « The Misesian Case Against Keynes », ch. 5
de The Economics and Ethics of Private Property. Dordrecht, Kluwer, 1993.
Hans-Hermann Hoppe, « Austrian Rationalism in the Age of the Decline
of Positivism », chapitre 11 de : The Economics and Ethics of Private Property. Dordrecht,
Kluwer, 1993. Traduit en français sous le titre : « Le Rationalisme autrichien à l’ère du déclin du
positivisme ».
Hans-Hermann Hoppe, « Einführung: Ludwig von Mises und der Liberalismus », in:
Ludwig von Mises, Liberalismus. St. Augustin: Academia Verlag, 1993.
Hans-Hermann Hoppe, Economic Science and the Austrian Method. Auburn, Al.:
Ludwig von Mises Institute, 1994.
Hans-Hermann Hoppe, « How is Fiat Money Possible? — or: The Devolution
of Money and Credit », Review of Austrian Economics, Vol. 7, no. 2, 1994.
Hans-Hermann Hoppe, « F. A.. Hayek on Government and Social Evolution:
A Critique », Review of Austrian Economics, Vol. 7, No.1, 1994 [traduit en français sous
le titre : « Hayek démocrate-social »].
Hans-Hermann Hoppe, « Die Österreichische Schule und ihre Bedeutung für die
moderne Wirtschaftswissenschaft » [Texte traduit ici].
Hans-Hermann Hoppe, « On Certainty and Uncertainty —Or: How Rational Can
Our Expectations be? », Review of Austrian Economics, Vol. 10, No.1, Fall 1996.
• Journal of Libertarian Studies. An Interdisciplinary Review.
• Friedrich Kambartel, Erfahrung et Struktur. Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1968.
• Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions. Chicago : University
of Chicago Press, 1962
Thomas Kuhn, Die Struktur wissenschaftlicher Revolutionen. Frankfurt/M.:
Suhrkamp, 1967.
Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques. Paris, Flammarion, 1983.
• Anthony de Jasay, « The Twistable is not Testable: Reflexions (sic) on
the Political Thought of Karl Popper ». Journal des Economistes, Volume 2, numéro 4,
décembre 1991, pp. 499-512 [traduit en français sous le titre : « Le Réversible n’est pas testable :
réflexions sur la pensée politique de Karl Popper »]
Anthony de Jasay, « Le Réversible n’est pas testable : réflexions sur la pensée
politique de Karl Popper » [« The Twistable is not Testable: Reflexions (sic) on the Political
Thought of Karl Popper »], non publié.
• Carl Menger, Grundsätze des Volkswirtschaftslehre. 1871.
Carl Menger, Principles of Economics. [Grundsätze
der Volkswirtschaftslehre (1871)] 1981.
Carl Menger, Untersuchungen über die Methode der Sozialwissenschaften und
der politischen Ökonomie insbesondere. 1883 [Traduit en anglais sous le titre :
Investigations Into the Method of the Social Sciences with Special Reference to Economics].
Carl Menger, Investigations Into the Method of the Social Sciences with Special
Reference to Economics [Untersuchungen über die Methode der Sozialwissenschaften
und der politischen Ökonomie insbesondere (1883)]. New York: New York University
Press, 1985.
• Ludwig von Mises, Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel. (1912)
Ludwig von Mises, Die Gemeinwirtschaft. Untersuchungen über den Sozialismus.
1922 [Traduit en anglais sous le titre Socialism et en français comme Le Socialisme (1952)].
Ludwig von Mises, Nationalökonomie. Philosophia Verlag (1940) [Version anglaise
Human Action (1949) ; traduite en français sous le titre L’Action humaine (1985)].
Ludwig von Mises, Socialism [Die Gemeinwirtschaft. Untersuchungen über
den Sozialismus (1922)]. Indianapolis, Ind.: Liberty Fund, 1981.
Ludwig von Mises, Le Socialisme [Socialism]. Paris, Librairie de Médicis, 1952.
Ludwig von Mises, Theory of Money and Credit [Theorie des Geldes und
der Umlaufsmittel (1912)]. Indianapolis, Ind., Liberty Press, 1981 (1° éd. 1953).
Ludwig von Mises, Liberalismus. St. Augustin: Academia Verlag, 1993 [Traduit
en anglais sous le titre Liberalism].
Ludwig von Mises, Human Action [Nationalökonomie (1940)]. Chicago :
Henry Regnery, 3° éd. 1966 (1° éd. 1949) [traduit en français sous le titre L’Action humaine
(1985)].
Ludwig von Mises, Theory and History. Auburn, Al.: Ludwig von Mises Institute,
1985 (1° éd. 1957).
Ludwig von Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science. Kansas City,
Sheed Andrews & McMeel, 1978 (1° éd. 1962).
Ludwig von Mises, Notes and Recollections [Erinnerungen (1978)].
Ludwig von Mises, Erinnerungen [Notes and Recollections]. Stuttgart : G. Fischer,
1978.
Ludwig von Mises, L’Action humaine [Human Action (1966)], Paris, PUF, 1985.
• Ralph Raico, « The Austrian School and Classical Liberalism », Advances
in Austrian Economics, Vol. 2A, 1995.
• Review of Austrian Economics
• Lionel Robbins, The Nature and Significance of Economic Science. New York:
New York University Press, 1984 (1° éd. 1934) [Traduit en français sous le titre Nature et
signification de l’économique (1947)].
Lionel Robbins, Nature et signification de l’économique. Paris, Librairie
de Médicis, 1947 [The Nature and Significance of Economic Science (1934)].
• Murray N. Rothbard, Toward a Reconstruction of Utility and Welfare
Economics. New York: Center for Libertarian Studies, 1977 (1956) [« Vers une reconstruction
de la théorie de l’utilité et du bien-être », ch. 4 de Murray N. Rothbard et. al., Economistes et
Charlatans. Paris, Les Belles Lettres, 1991].
Murray N. Rothbard, America’s Great Depression. Kansas City: Sheed & Ward,
1975 (1962).
Murray N. Rothbard, Man, Economy, and State. Auburn, Al.: Ludwig von Mises
Institute, 1993 (1962).
Murray N. Rothbard, « Praxeology: The Methodology of Austrian Economics », in:
Edwin Dolan, ed., The Foundations of Modem Austrian Economics. Kansas City: Sheed
and Ward, 1976.
Murray N. Rothbard, For A New Liberty. New York, McMillan, 1978.
Murray N. Rothbard, « The Hermeneutical Invasion of Philosophy and
Economics », Review of Austrian Economics, Vol. 3, 1989.
Murray N. Rothbard et. al., Economistes et Charlatans. Paris, Les Belles Lettres,
1991.
Murray N. Rothbard, « Vers une reconstruction de la théorie de l’utilité et du
bien-être », ch. 4 de Murray N. Rothbard et. al., Economistes et Charlatans. Paris,
Les Belles Lettres, 1991.
Murray N. Rothbard, « Keynes, the Man », in: Mark Skousen (ed.), Dissent on
Keynes (New York : Präger, 1992.
Murray N. Rothbard, « The Present State of Austrian Economics ». Journal
des Economistes et des Études Humaines, Vol. 6, no. 1, mars 1995.
Murray N. Rothbard, « Intimidation by Rhetoric ». Review of Austrian Economics,
Vol. 9, no. 1, 1996.
Murray N. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith. An Austrian
Perspective on the History of Economic Thought. tome I). Aldershot: Edward Elgar, 1995.
Murray N. Rothbard, Classical Economics. An Austrian Perspective on the History
of Economic Thought (tome II). Aldershot: Edward Elgar, 1995.
• Joseph Salerno, « Ludwig von Mises as Social Rationalist », Review of Austrian
Economics, Vol. 4, 1990.
• Walter Rathenau, Le Commerce de la bière en bouteille à Berlin en 1905. Thèse
de doctorat de « sciences économiques ».
• Joseph A. Schumpeter, Ten Great Economists. New York : Oxford University Press,
1951).
Joseph A. Schumpeter, History of Economic Analysis. New York: Oxford University
Press, 1954 [Traduit en français sous le titre Histoire de l’analyse économique].
• George Selgin, The Theory of Free Banking (1985).
George Selgin, La Théorie de la banque libre [The Theory of Free Banking
(1985)]. Paris, Les Belles Lettres, 1992.
• Karen Vaughn, Austrian Economics in America, The Migration of a Tradition.
New York: Cambridge University Press, 1994.
————————————————————————————————
[1] Joseph A. Schumpeter, Ten Great Economists (New York : Oxford University Press, 1951).
[2] L’expression d' »utilité marginale » revient à Friedrich von Wieser, avec Eugen von Böhm-Bawerk le plus
brillant élève de Menger.
La préhistoire de l’école autrichienne est bien plus longue. Elle s’est déroulée pour l’essentiel en-dehors de
la Grande-Bretagne, dans les pays catholiques de l’Europe continentale. La lignée des précurseurs
s’étend de Jean-Baptiste Say aux derniers Scolastiques espagnols en passant par A.R.J. Turgot et Robert
Cantillon. Cf. à ce sujet Murray N. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith. An Austrian
Perspective on the History of Economic Thought (tome I) et Classical Economics. An Austrian
Perspective on the History of Economic Thought (tome II). Aldershot: Edward Elgar, 1995.
[3] Comme plus récent exemple d’un cas désespéré d’incompréhension de la part d’un auteur « maison », cf.
Karen Vaughn, Austrian Economics in America, The Migration of a Tradition (New York: Cambridge
University Press, 1994). Pour Vaughn, l’histoire de l’école autrichienne met essentiellement en scène
Menger, Hayek, Kirzner et finalement Lachmann.
Pour une critique détaillée de Vaughn cf. David Gordon, « Lost in the Move? » The Mises Review, Fall
1995; pour une critique de Ludwig Lachmann comme étant finalement un historiciste complètement non
autrichien, cf. Hans-Hermann Hoppe, « On Certainty and Uncertainty —Or: How Rational Can Our
Expectations be? », Review of Austrian Economics, Vol. 10, No.1 (Fall 1996).
[4] Cf. Joseph Salerno, « Ludwig von Mises as Social Rationalist », Review of Austrian Economics, Vol. 4,
1990 ; Jeffrey Herbener, « Introduction », in : J. Herbener, ed., The Meaning of Ludwig von Mises (Boston:
Kluwer, 1993) ; Hans-Hermann Hoppe, « Einführung: Ludwig von Mises und der Liberalismus », in: Ludwig
von Mises, Liberalismus (St. Augustin: Academia Verlag, 1993) ; idem, « F. A. Hayek on Government and
Social Evolution: A Critique », Review of Austrian Economics, Vol. 7, No.1, 1994 [traduit en français sous le
titre : « Hayek démocrate-social »] ; Murray N. Rothbard, « The Present State of Austrian Economics »,
Journal des Economistes et des Études Humaines, Vol. 6, no. 1, mars 1995.
[5] Hayek lui-même parvient aussi à cette conclusion dans son Einleitung [introduction] aux
Erinnerungen [Notes and Recollections] de Ludwig von Mises (Stuttgart: G. Fischer, 1978).
« aujourd’hui, c’est certainement avec juste raison que dans le monde on considère Mises et ses
disciples comme les représentants de l’école autrichienne, alors même qu’il ne représente qu’une des
branches entre lesquelles l’enseignement de Menger s’est divisé […] entre ses disciples. L' »école
autrichienne », aujourd’hui presque exclusivement active aux Etats-Unis, est au fond une école de
Mises, qui remonte aux premiers apports de Böhm-Bawerk. » pp. XIV-XV.
[6] Aux Etats-Unis, le mot « liberal » désigne la même chose que ce qui passe pour « démocrate-social » en
Europe. Des libéraux comme Mises et Rothbard ont donc choisi l’expression « libertarien » (libertarian)
pour dénommer leur position.
[7] Cf. aussi Ralph Raico, « The Austrian School and Classical Liberalism », Advances in Austrian
Economics, Vol. 2A, 1995.
[8] Cf. aussi Murray N. Rothbard, For A New Liberty (New York: McMillan, 1978), ch. 9.
[9] Cf. Robert Batemarco, « GNP, PPR, and the Standard of Living », Review of Austrian Economics,
Vol. 1, 1987.
[10] A propos de la République Fédérale d’Allemagne, Mises avait affirmé :
« Les adeptes de la dernière variante de l’interventionnisme, celle de l' »économie sociale de marché » à
l’allemande, soulignent qu’une économie de marché est le meilleur ordre économique pensable, et se
prétendent fondamentalement hostiles à toute omnipotence gouvernementale, qui selon eux caractérise
chacune des formes du socialisme.
Mais tous ces promoteurs d’une ‘politique de la voie médiane’ soulignent de même qu’ils sont
naturellement hostiles au ‘Manchestérisme’ et au ‘laissez-faire libéral’. Il est nécessaire, disent-ils, que
l’Etat intervienne sur les résultats du marché, toujours et partout où le « libre jeu des forces
économiques’ est censé produire des résultats ‘socialement indésirables’. Dans la mesure où ils
avancent cette affirmation, ils sous-entendent que ce serait au gouvernement de juger, dans tous les
cas particuliers, si un fait économique particulier est ou non ‘socialement désirable’, et en
conséquence si les hommes de l’Etat doivent ou non intervenir sur les résultats du marché.
Tous ces apôtres de l’interventionnisme ne reconnaissent pas qu’ainsi énoncé, leur programme
implique d’admettre que l’Etat ait tous les pouvoirs dans toutes les situations économiques, et que la
situation à laquelle il conduit finalement ne se distingue en rien de ce qu’on a appelé le ‘socialisme à la
Hindenburg’. Lorsque le gouvernement a le pouvoir légal de décider si certaines conditions
économiques justifient ou non une intervention, alors plus aucun domaine d’action n’est laissé aux
opérations du marché. Alors, ce ne sont plus les consommateurs qui décident finalement ce qui sera
produit, par qui, où et comment —en quelle quantité et avec quelle qualité : ce sont les hommes de
l’Etat. Car aussitôt que les effets du marché libre s’écartent de ce que les autorités étatiques
considèrent comme désirable, alors les hommes de l’Etat interviennent. Ce qui veut dire que le marché
est libre, aussi longtemps qu’il fait ce que les hommes de l’Etat attendent de lui. Il est libre de faire ce
que les autorités de l’Etat jugent bon qu’il fasse, mais pas ce qu’elles trouveraient « mauvais » ; et
décider de ce qui est bon et de ce qui est mauvais revient aux hommes de l’Etat. De sorte que la théorie
et la pratique de l’interventionnisme conduisent finalement à l’abandon de ce qui devait au départ les
distinguer du socialisme à 100 % pour réintroduire, en leur lieu et place, les principes de la planification
économique totalitaire. » Human Action (Chicago : Henry Regnery, 3° éd. 1966), pp. 723-724
[citation traduite de l’allemand hoppien ; les amateurs pourront comparer avec l’anglais d’origine ou
avec la traduction de Raoul Audouin dans L’Action humaine, Paris, PUF, 1985. Il existe aussi une
première version en allemand de L’Action humaine, Nationalökonomie (1940), dont Human Action (1°
éd. 1949) était la version en anglais revue et corrigée, et dont une édition plus récente est disponible
chez Philosophia Verlag (F. G.)].
[11] L’influence prépondérante de l’école historique sur les sciences économiques et sociales en
Allemagne était due aux relations d’amitié étroite de Schmoller avec Friedrich Althoff, Directeur chargé
des questions universitaires au Ministère des Cultes de l’Etat prussien entre 1882 et 1908.
[12] L’idée fondamentale de la théorie de Mises, construite sur les suggestions de la « Currency School »
britannique et de Knut Wicksell, est la suivante : les responsables des fluctuations conjoncturelles sont
les hommes de l’Etat et notamment les banquiers centraux. Lorsque la banque centrale « crée » de la
nouvelle monnaie, c’est-à-dire en fabrique à partir de rien, et la déverse dans l’économie par l’intermédiaire
du marché des crédits, il se produit un abaissement du taux d’intérêt en-dessous du niveau de marché
déterminé par de véritables efforts d’épargne. Un taux d’intérêt plus bas conduit à une activité
d’investissement accrue et à une production plus étendue de biens de capital. Cela, c’est la phase
d’expansion. Cependant, comme rien n’a changé dans les préférences réelles des agents économiques
quant à la consommation et l’épargne, il doit se produire après un délai nécessaire une « correction »
associée, dans laquelle le volume des investissements se révèle « trop grand », ce qui amène une
liquidation systématique des investissements mal fondés. C’est la récession immanente qui suit chaque
expansion. Si l’on veut éviter les variations de la conjonctures (ainsi que l’inflation), dit Mises, il faut
que les hommes de l’Etat se retirent de la production de monnaie. Il faut abolir la banque centrale et le
monopole étatique des billets de banque, et à la place doit apparaître un système concurrentiel avec des
banques libres s’appuyant sur l’étalon-or.
Dans des travaux plus tardifs, Mises franchit [pour des raisons d’opportunité politique et non de théorie
monétaire, F. G.] une étape supplémentaire dans ses conditions : pour empêcher totalement les
fluctuations il était indispensable d’interdire toute production de billets de banque non couverte par l’or
[parce qu’il n’avait pas compris que dans un système de banque libre —c’est-à-dire sans banque centrale
ni intervention de l’Etat, ces nouveaux billets ne peuvent être émis qu’en réponse à un accroissement de la
demande de monnaie manuelle et, de ce fait, correspondent à un effort d’épargne réel. De sorte que la
création de monnaie nouvelle n’est pas seulement compatible avec l’ajustement monétaire ; en fait, elle lui
est nécessaire : cf. George Selgin : The Theory of Free Banking —La Théorie de la banque libre —F. G.].
Dans la mesure où les banques d’affaires agissent comme banques de dépôt et garantissent à leurs
déposants un droit de retrait à tout moment (à la différence [complètement faux ! —F. G.] de leur fonction
de banques d’épargne et de prêts, où les déposants se voient imposer des délais de retrait), on doit [qui,
« on » ? —F. G.] leur imposer une obligation de réserve à 100%.
Comme étude standard — d’un point de vue autrichien— de la dépression économique de la fin des
années vingt, cf. Murray N. Rothbard, America’s Great Depression (Kansas City: Sheed & Ward, 1975).
[13] Les cours de Hayek à la London School of Economics parurent l’année même sous le titre Prices and
Production [Traduit en français en 1975 comme Prix et production, aujourd’hui disponible chez Agora,
1986].
Sur le succès spectaculaire de Hayek en Angleterre cf. Joseph A. Schumpeter, History of Economic
Analysis (New York: Oxford University Press, 1954), pp. 1120 et suiv. [Histoire de l’analyse économique].
[14] Le succès de la Théorie générale de Keynes, remarquait Schumpeter (ibid., p. 1121), n’était
absolument pas comparable à celui de Hayek « parce que… on ne saurait douter que sa carrière triomphale,
elle la devait au fait que sa démonstration exprimait certaines des préférences politiques les plus
puissantes d’un grand nombre d’économistes modernes. Hayek, politiquement, nageait à contre-courant. »
Pour une critique détaillée de l’oeuvre et de la personne de Keynes du point de vue autrichien cf.
Hans-Hermann Hoppe, « The Misesian Case Against Keynes » [ch. 5 de The Economics and Ethics of
Private Property] et Murray N. Rothbard, « Keynes, the Man », in: Mark Skousen (ed.), Dissent on Keynes
(New York : Präger, 1992).
[15] D’autres membres du Cercle de Vienne étaient Otto Neurath, Rudolph Carnap, Carl G. Hempel,
Herbert Feigl, Victor Kraft, Fritz Waismann et Gustav Bergmann. Ludwig Wittgenstein et Karl Popper
appartenaient à son champ d’influence élargi.
[16] Cf. là-dessus aussi Murray N. Rothbard, « Praxeology: The Methodology of Austrian Economics »,
in: Edwin Dolan, ed., The Foundations of Modern Austrian Economics (Kansas City: Sheed and Ward,
1976); Hans-Hermann Hoppe, Economic Science and the Austrian Method (Auburn, Al.: Ludwig von
Mises Institute, 1994).
[17] Le caractère absolument vain de l’économie mathématique ne peut être dissimulé et demeurer à
l’écart de la conscience publique que parce que le monde de l’enseignement et de la recherche dans
l’ensemble des pays occidentaux est largement étatisé (financé par l’impôt), et que cela dispense
entièrement la plus grande part de ce qu’on appelle la « recherche scientifique » de toute — de sa —
justification pratique.
(Bien au contraire, on a des raisons de supposer que si l’économie mathématique est entretenue de la
sorte par les hommes de l’Etat, c’est précisément parce qu’elle n’a absolument aucune portée.)
Pour un jugement comparable sur la « recherche scientifique » dans le domaine mathématique, cf. Friedrich
Kambartel, Erfahrung und Struktur (Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1968), ch. 6, partic. les pp. 236-42.
[18] Dans le meilleur des cas, ces études consistent à réaffirmer les vieilles vérités fondamentales par des
moyens inadéquats —d’une certaine manière comme si on « prouvait » à nouveau le Théorème de
Pythagore par des procédés empiriques, en multipliant les mesures de longueur et d’angle.
Et dans le pire des cas elles consistent à « réfuter » ces anciennes vérités fondamentales par des moyens
empiriques en fait inopérants et à « découvrir » sans arrêt des théories « nouvelles », « jamais vues » — et
ce, d’autant plus qu’on est moins familier de l’histoire de la pensée économique — des Classiques.
[En d’autres termes, les pseudo-expérimentalistes passent leur temps à « prouver » statistiquement que deux
et deux font quatre mais, comme leurs moyens de preuve sont par essence inadéquats (et comme ils
vivent d’argent volé), il leur arrive aussi forcément de « prouver », à l’occasion, que cela fait cinq (du moins,
« dans les conditions de l’expérience ») — et c’est en cela que consiste l’essentiel de leurs « contributions
originales » à la science économique (F. G.)].
La recherche économique [pseudo-]expérimentale est elle aussi largement financée par l’impôt et n’est
soumise à aucune contrainte de justification pratique, et elle est également, pour les mêmes raisons,
largement dépourvue de toute valeur et utilité. L’intérêt que les hommes de l’Etat trouvent à soutenir la
recherche économique [pseudo-]expérimentale se trouve plutôt dans le fait qu’elle seule, du fait de ses
partis pris méthodologiques, se prête à la légitimation de l’intervention étatique en tant que telle —
quelle qu’elle puisse être. L’interventionnisme étatique comme mise en application de la recherche sociale
empirique, et la science comme technique de l’intervention au coup par coup dans la société !
[19] Cf. Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions (Chicago : University of Chicago Press,
1962) [Die Struktur wissenschaftlicher Revolutionen (Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1967) ; La Structure des
révolutions scientifiques (Paris, Flammarion, 1983)].
[20] Du côté autrichien cela s’est d’abord produit en 1976 avec la fondation du Journal of Libertarian
Studies. An Interdisciplinary Review, et en 1987 est apparu entre autres la Review of Austrian
Economics. Le fondateur et le rédacteur en chef des deux périodiques était Murray Rothbard.
[21] Comme meilleur témoin cf. le chef de l’école monétariste Milton Friedman dans « The Resource Cost
of Irredeemable Paper Money », Journal of Political Economy (1986).
Dans cet article, Friedman n’échappe pas à l’aveu que l’ensemble de ses prédictions sur les avantages
d’un système de monnaies-papier nationales non convertibles et de taux de change flottants (notamment
comparé avec un étalon-or classique) au vu des expériences accumulées depuis 1971 — avec la mise en
oeuvre des idées monétaristes — se sont révélées complètement erronées.
Friedman n’admet à ce propos que son embarras. Il n’envisage pas de reconnaître que les partisans d’un
étalon-or — comme Menger, Böhm-Bawerk, Mises et Rothbard — avaient eu raison contre lui, ni qu’il
pourrait bien y avoir quelque chose qui ne va pas dans la méthode de recherche positiviste qu’il propage
depuis le début de sa carrière.
Cf. aussi Hans-Hermann Hoppe, « How is Fiat Money Possible? — or: The Devolution of Money and
Credit », Review of Austrian Economics, Vol. 7, no. 2, 1994.
[22] Cf. pour une critique de ces courants Murray N. Rothbard, « The Hermeneutical Invasion of
Philosophy and Economics », Review of Austrian Economics, Vol. 3, 1989; idem, « Intimidation by
Rhetoric », Review of Austrian Economics, Vol. 9, no. 1, 1996 ; Hans-Hermann Hoppe, « In Defense of
Extreme Rationalism: Thoughts on Donald McCloskey’s ‘The Rhetoric of Economics' », Review of
Austrian Economics, Vol. 3, 1989.
[23] Cf. Ludwig von Mises, Human Action (Chicago : H. Regnery, 1966) [L’Action humaine], ch. 4.
[24] Même le proverbial âne de Buridan, qui ne peut pas se décider entre deux tas de foin d’égale
grosseur et également éloignés de lui, ne démontre en rien son indifférence vis-à-vis des deux tas. Au
contraire, son comportement donne l’impression qu’il préfère s’obstiner à rester sur place et à mourir de
faim plutôt que de choisir entre l’un ou l’autre des tas de foin. Cf. aussi Murray N. Rothbard, Man,
Economy, and State (Auburn, Al.: Ludwig von Mises Institute, 1993), pp. 260-272.
[25] Imaginer une prévision parfaite implique qu’on ne se trompe jamais (qu’on n’est jamais déçu).
Mais quand on ne peut pas se tromper, alors on ne peut à proprement parler pas non plus avoir jamais eu
raison (recevoir une confirmation). Il faut au contraire supposer que l’on sait toujours déjà ce qu’on saura
jamais un jour. Dès lors que la connaissance et l’information seraient parfaites, il n’existerait plus rien que
l’on puisse apprendre. Cependant, s’il n’y avait plus rien à apprendre, alors on ne pourrait même plus
expliquer pourquoi au juste des personnes qui agissent (à la différence d’un ordinateur) seraient dotées
d’une conscience, et souhaiteraient apprendre pour savoir quoi que ce soit, et on a tout autant de peine à
expliquer que des personnes doivent jamais s’engager dans des échanges verbaux (la communication,
l’argumentation). Car lorsque tout le monde sait déjà tout, cela n’a tout simplement plus aucun sens de
souhaiter se parler les uns aux autres.
Cf. aussi Hans-Hermann Hoppe, « On Certainty and Uncertainty —Or How Rational Can Our Expectations
Be? » [« De la certitude et de l’incertitude —ou : quelle peut être la rationalité de nos anticipations ?« ]
[26] Cf. à ce sujet Ludwig von Mises, Human Action, pp. 200-211; Lionel Robbins, The Nature and
Significance of Economic Science (New York: New York University Press, 1984), pp. 32-38.
[27] Cf. là dessus principalement Murray N. Rothbard, Toward a Reconstruction of Utility and Welfare
Economics (New York: Center for Libertarian Studies, 1977) [« Vers une reconstruction de la théorie de
l’utilité et du bien-être », ch. 4 de Murray N. Rothbard et. al., Economistes et Charlatans (Paris, Les Belles
Lettres, 1991)].
L’emploi de grandeurs cardinales et de calculs dans le domaine économique est exclusivement limité au
domaine du calcul économique, et il ne peut y avoir de calcul économique que là où il y a aussi de la
monnaie — donc absolument pas par exemple dans le no man’s land d’un « équilibre général » — et où les
biens de consommation et de capital sont aussi effectivement échangés contre de l’argent c’est-à-dire
entre autres pas dans le socialisme). Cependant, l’emploi de grandeurs chiffrées dans la cadre du calcul
économique, si indispensable qu’il soit en tant qu’outil intellectuel en vue de rationaliser l’action humaine
dans les circonstances de la division du travail, n’a décidément rien à voir avec la mesure et le fait de
mesurer. Les prix en monnaie ne sont pas des mesures de valeur ni d’utilité. Bien au contraire, les prix
sont le résultat d’un échange entre l’argent et ce qui n’en est pas, c’est-à-dire le produit d’une inégalité des
valeurs, d’une non-identité. Il est par conséquent complètement erroné (et inadmissible) de représenter
les prix et les relations de prix comme des quantités et des relations entre des quantités. « Les chiffres mis
en application par les hommes qui agissent à l’occasion du calcul économique ne se rapportent pas à des
quantités mesurées mais à des taux d’échange tels qu’on s’attend (à partir de la manière dont on
comprend la situation) à les voir réaliser sur les marchés dans l’avenir. Avenir en vue duquel toute
action est orientée et qui seul importe pour l’homme qui agit. » Ludwig von Mises, Human Action, p. 210.
[28] Il va de soi que la théorie économique ne peut expliquer à sa manière non hypothétique
(apodictique) que les aspects des phénomènes qui présentent un élément nécessaire (condition
nécessaire ou conséquence logique) de toute action dans des conditions spécifiques (et qui, dans
cette mesure-là, sont universels et indépendants du temps).
Elle peut par exemple expliquer, que chaque fois qu’un échange volontaire a lieu — peu importe où et
quand, entre qui, sur quels biens et pour quel rapport de prix — les deux parties à l’échange s’attendent à
en profiter, et qu’ils présentent une échelle de préférences inverses relativement aux objets échangés.
En revanche, l’économie est entièrement incapable d’expliquer ou de prédire ceux des aspects des
phénomènes qui sont influencés et modifiés par les expériences personnelles (l’apprentissage et l’oubli)
(et qui sont, dans cette mesure même, contingents et dépendants du temps). Elle ne peut par exemple pas
expliquer, pourquoi (et si) un échange aura lieu, quand, où, entre qui, sur quoi ni à quel prix.
Cette séparation conceptuelle stricte entre la théorie et l’histoire n’a rien à voir avec une quelconque
dévalorisation de la science historique de la part de l’école autrichienne. Bien au contraire, presque tous les
économistes autrichiens, en particulier Murray N. Rothbard, avaient un grand intérêt pour l’histoire et se
sont aussi distingués comme historiens.
Cf. sur ce thème particulièrement Ludwig von Mises, Theory and History (Auburn, Al.: Ludwig von
Mises Institute, 1985) [The Ultimate Foundation of Economic Science (Kansas City, Sheed Andrews &
McMeel, 1978 —1° éd. 1962)] ; Hans-Hermann Hoppe, « De la certitude et de l’incertitude —ou : quelle peut
être la rationalité de nos anticipations ?«
commentaires récents