le multiplicateur keynésien

Le « multiplicateur » keynésien
Murray Rothbard, ch. 11 de Man, Economy and State
https://docs.google.com/Doc?id=dc2m8p62_435fsjvwnd5

La popularité du charlatanisme keynésien auprès des hommes de l’état tient bien sûr à ce que celui-ci leur a fourni toute une batterie de sophismes nouveaux pour faire croire qu’ils pourraient dépenser de l’argent sans que cet argent manque à ceux à qui ils le volent.
La plupart des économistes qui ont prétendu en rendre compte, qu’ils s’en fassent les complices ou qu’ils le critiquent comme Jacques Rueff et Ludwig von Mises, ont interprété cette imposture comme une variante de l’inflationnisme, et c’est d’ailleurs ainsi que l’ont pratiquée les hommes de l’état.
Cependant, si les hommes de l’état ont dû faire de l’inflation pour paraître mettre en oeuvre les prétendues analyses de Keynes, c’est parce qu’ils étaient contraints par des lois de la réalité dont ces « analyses » mêmes prétendaient les dispenser. Lisons en effet la Macroéconomie de Pascal Salin, cet ouvrage étrange qui semble avoir été publié pour prouver aux adeptes du « Magicien de Cambridge » que son auteur comprenait celui-ci aussi bien voire mieux qu’eux-mêmes mais sans aller jusqu’à le réfuter en démontant ses absurdités. Qu’y découvre-t-on ? Eh bien, que la prétendue « macroéconomie » keynésienne ne raisonne pas du tout sur les conditions de l’ajustement monétaire en cas de cet excès de demande de monnaie sur l’offre que Milton Friedman et Anna Schwartz ont bien observé aux Etats-Unis au début des années 1930, et qui aurait éventuellement permis de rationaliser des politiques monétaires expansionnistes, a fortiori lorsque la violence politique empêchait de baisser les salaires et les prix. Non, ce que Keynes prétendait y faire, c’était « découvrir » de prétendues manières de soi-disant remédier à des « insuffisances de demande globale » sans ajuster l’offre de monnaie à la demande. Or cela, c’est impossible d’après le raisonnement comptable, qui reproduit en économie les lois de l’arithmétique. Par conséquent, ce qu’en réalité sa prétendue « Théorie générale » prétendait faire, c’était inventer de prétendues « exceptions » à ces lois de l’arithmétique. Comment ? En énonçant de prétendues « lois de comportement stables » comme prétexte pour traiter comme des « constantes » des rapports qui seraient automatiquement variables dans n’importe quel raisonnement arithmétique correct — d’où l’importance présumée, chez ceux qui étaient dupes de ces tours de passe-passe, de la prétendue « fonction stable de consommation » censée permettre d’obtenir ces résultats (au prix d’une absurdité évidente pour les vrais économistes et mathématiciens) .
Il en restait pourtant qui savaient encore raisonner, et ceux-là, au lieu de perdre leur temps en arguties statisticiennes sur la « fonction de consommation », ont simplement identifié le sophisme mathématique grossier sur quoi reposaient ces « démonstrations » prétendues. C’est ce qu’a fait Henry Hazlitt[1], dont Rothbard a repris le raisonnement dans son oeuvre maîtresse Man, Economy and State.
Ce sophisme mathématique grossier, cependant, l’un et l’autre ont présenté son exposition sous la forme d’une réduction à l’absurde, de sorte que certaines de ses dupes ont peut-être besoin malgré tout qu’on leur mette les points sur les i : celui-ci, donc, consiste à postuler que le rapport entre la partie et le tout ne changerait pas lorsque la partie augmente, de sorte qu’augmenter la partie augmenterait le tout dans des proportions bien plus grandes. Raisonnement manifestement absurde quand on l’énonce aussi crûment, mais que masquaient les passes du bonneteau keynésien entre l’apparence du raisonnement mathématique (sur le prétendu « multiplicateur ») et l’apparence de l’observation statistique (de la « fonction de consommation »), de sorte qu’il a échappé pendant des décennies à la plupart des keynésiens qui se prenaient pour des scientifiques « avancés ».
Et il semble malheureusement que l’exposer de nouveau redevienne nécessaire aujourd’hui [F. G.].

Le « multiplicateur » keynésien, tenu pendant longtemps en haute estime, voit heureusement sa popularité diminuer. Les économistes ont en effet commencé à se rendre compte qu’il ne s’agissait que de la contrepartie de la fonction de consommation stable. Malgré tout, l’absurdité totale du multiplicateur n’a pas encore été appréciée à sa juste valeur.
La théorie du « multiplicateur d’investissement » se présente à peu près comme suit :

Revenu de la société = Consommation + Investissement

La consommation est une fonction stable du revenu, comme le démontrent des corrélations statistiques, etc. Disons, pour simplifier[2], que la variable « Consommation » est toujours égale à 0,8 fois le « Revenu (de la société) ». Dans ce cas on obtient à partir de l’équation précédente :

Revenu = 0,8 Revenu + Investissement ;
donc
0,2 Revenu = Investissement ;
ou encore
Revenu = 5 Investissement

Ce « 5 »-là est le « multiplicateur d’investissement ». Il est alors évident qu’il suffit, pour augmenter le revenu monétaire de la société d’un montant donné, d’augmenter l’investissement du cinquième de ce montant ; la magie du multiplicateur fera le reste.

Les premiers « amorceurs de pompe » pensaient approcher ce but en stimulant l’investissement privé ; les keynésiens ultérieurs ont compris que si l’investissement est un facteur volatile « actif », les dépenses de l’état ne sont pas moins actives et bien plus sûres, de telle sorte qu’il faut faire confiance aux dépenses des hommes de l’état pour fournir l’effet multiplicateur. La création de nouvelle monnaie serait la plus efficace, car les hommes de l’état seraient alors certains de ne pas réduire les fonds privés. C’est pourquoi on appelle « investissement » toute dépense des hommes de l’état : c’est un « investissement » parce qu’elle n’est pas reliée passivement au revenu.

Eh bien, le développement qui suit se propose d’offrir, sur les mêmes bases keynésiennes, un bien plus puissant « multiplicateur » ; il est même plus puissant et efficace que le multiplicateur d’investissement, et d’après les fondements du keynésianisme il n’y a absolument rien qu’on puisse lui objecter.
Il ne s’agit donc pas d’une simple parodie, puisque on y fait tout exactement selon la méthode keynésienne.

Écrivons tout d’abord :

Revenu de la société = Revenu de (mettre le nom de n’importe qui, du lecteur par exemple)
+ Revenu de tous les autres

Servons-nous des symboles suivants :

Revenu de la société = Y
Revenu du lecteur = R
Revenu de tous les autres = V

Qu’observons-nous ? Que V est une fonction ultra-stable de Y. Traçons en effet l’une en fonction de l’autre et nous trouverons une parfaite correspondance historique entre les deux. C’est une fonction exceptionnellement stable, bien plus stable que n’importe laquelle des « fonctions de consommation ».
D’un autre côté, traçons R en fonction de Y. Au lieu d’une corrélation parfaite, nous ne trouvons alors que la plus faible des liaisons entre les fluctuations du revenu du lecteur de ces lignes et le revenu total de la société. Le revenu du lecteur est donc l’élément actif, volatile et incertain du revenu de la société, alors que le revenu de tous les autres demeure passif, stable et déterminé par le revenu total de la société.
Supposons que l’équation à laquelle nous arrivons s’écrive

V = 0,99999 Y.

Alors, on obtient successivement :

Y = 0,99999 Y + R ;
0,00001 Y = R ;
Y = 100 000 R.

Voilà le multiplicateur personnel du lecteur, bien plus puissant que le multiplicateur d’investissement. Pour accroître le revenu de la société, et donc guérir dépression et chômage, il suffit que les hommes de l’état impriment un certain nombre de dollars et les donnent au lecteur de ces lignes. La dépense du lecteur amorcera la pompe d’une augmentation du revenu national par un facteur de 100 000.

Notes

[1]. La démonstration de Rothbard emprunte au livre de Hazlitt The failure of New Economics (Princeton : D. van Nostrand, 1959) pp. 135-155.

[2] On présente le plus souvent le prétendu « multiplicateur » keynésien à partir d’une prétendue « fonction linéaire » (c’est-à-dire du type Y=aX + b), par exemple en écrivant Consommation = 0,8 x Revenu + 20.
La prétendue « constante » ajoute du mystère à la prétendue « fonction de consommation » (on la doit en fait au procédé statistique employé pour soi-disant l' »identifier ») mais ne change rien au sophisme arithmétique fondamental : c’est pourquoi on peut se dispenser de l’ajouter pour simplifier l’exposé sans que cela change en rien l’essence du raisonnement : c’est ce qu’a fait Hazlitt, et à sa suite Rothbard.
Rien n’empêcherait de rajouter des constantes arbitraires où l’on veut, ça ne changerait que la « valeur » absolue du prétendu « multiplicateur », mais rien à sa non moins absolue fausseté.

À propos gidmoz
libertarien, ingénieur

3 Responses to le multiplicateur keynésien

  1. Je trouve la critique de FG supérieure à celle de Rothbard.

    Rothbard se borne à mettre en évidence, au moyen d’une démonstration par l’absurde, qu’il y a quelque chose qui cloche dans le raisonnement de Keynes.

    FG, lui, montre quelle est la source du sophisme (« postuler que le rapport entre la partie et le tout ne changerait pas lorsque la partie augmente »).

    J’ai examiné ce sophisme en détail ici : http://ronsardenprison.wordpress.com/2012/04/05/un-peu-de-magie/

    Par ailleurs, contrairement à ce que dit FG, c’est Hazlitt qui a emprunté à Rothbard l’idée de « multiplicateur personnel du lecteur », et non l’inverse (« I am endebted for this illustration to a forthcoming book bu Murray N. Rothbard »).

  2. Meng Hu says:

    Je ne sais pas si c’est moi qui ai des trous de mémoire, mais là, comme ça, je ne vois pas qui peut être « FG ».

    • gidmoz says:

      @Meng Hu
      « FG » sont les initiales de l’économiste François Guillaumat. Il est, amha, le meilleur théoricien français du libéralisme. Une immense érudition et une grande logique des raisonnements.

      Guillaumat a rédigé une théorie de l’illusion fiscale très novatrice. Elle m’a fait découvrir une analyse sociologique et économique d’une grande pertinence.

      Le chef d’oeuvre de Guillaumat est peut-être sa découverte de la loi du bitur-camember. Il obtient cette loi en appliquant à la dépense publique, le raisonnement à l’équilibre. En d’autres termes, toute dépense étatique détruit autant de production que le montant de cette dépense. Du moins en tendance.

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